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LITTÉRATURE.

bonheur : toute-puissante sur mon oncle le gouverneur, j’avais pensé que je lui persuaderais qu’une simple rétractation n’était point assez pour sa nièce, qu’il fallait que l’offenseur prouvât publiquement son estime pour l’offensée en lui offrant sa main… qu’elle ne devrait jamais accepter ; mais que cependant…

D. Louis.

Isabelle !… moi… ton mari !…

Dona Isabelle.

Oui, j’aime, et j’aime plus profondément que toi, moi, où Dieu a mis tout à la surface ; moi qui n’ai rien au fond de l’âme, comme tu disais hier. Mais je crains le malheur, il me glace comme un hôte inconnu !… Le malheur !…. hélas !… Emmaillottée au temps de mon enfance dans des langes dorés, courtisée, adulée, j’ai toujours vu une escorte de flatteurs et de valets à mes ordres ; jamais nul ne se hasardait d’élever la voix devant moi : on eût dit que cette garde d’amis ou d’esclaves empêchait mon mauvais génie d’approcher. J’arrivai jusqu’à dix-huit ans sans connaître le malheur que de nom, et tout à coup il est venu fondre sur moi, terrible, imminent, inévitable, sans frein, sans ménagement : ah ! je n’ai pas la force de le supporter ; nous ne combattons pas à armes égales ; je fléchirai sous son poids jusqu’à ma tombe… Je me tuerai…

Don Louis.

Et c’est moi, moi qui l’assassinerais !… Comment n’ai-je pas senti que c’était impossible ?

Dona Isabelle.

Après le bal, don Louis, je m’étais bercé de ce rêve, impossible sans doute, inexécutable. Si notre vie, me disais-je, s’envolait comme ce fandango que nous dansions ensemble ; si nous passions rapidement aux bras l’un de l’autre, au sein de ce monde jaloux et bruyant, sans rien voir que nous, avec de la musique, des lumières et des parfums à l’entour, sans autre idée, sans autre souci que l’amour ; si, pour finir cette