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LA NIÈCE DU GOUVERNEUR.

que l’amour ? vous, créature céleste, mais où Dieu mit tout à la surface ; vous qui ne ressentez pas la flamme dont vous rayonnez, mais qui voyez la vie à travers le prisme qui vous donne à vous-même tant d’éclat ! Les battemens de votre cœur sont une musique ; votre âme a la forme d’un sourire ; l’amour pour vous n’est qu’un vague instinct qui vous avertit que le bras nerveux d’un cavalier sied mieux autour de votre taille dans la danse, que le bras arrondi d’une de vos compagnes ; c’est un parfum qui vous attire dans l’air où respire celui que vous aimez ; mais ce n’est pas la vapeur qui vous y fait mourir. Vous vous laissez aller dans la vie comme dans une gondole paisible entre deux rives enchantées. Quand vous avez fini votre journée, vous posez votre beau front entre les deux mains de l’ange du sommeil, qui y laisse tomber des songes comme des fleurs, et vous vous endormez indécise entre votre passion de la veille et celle du lendemain. Mais vivez pour nous tuer, c’est votre destinée ; d’ailleurs seriez-vous assez forte pour porter le quart de l’amour que j’ai en moi tout entier ? Passez donc sur cette terre sans la toucher, et sans vous informer des traces que vous y laissez.

Dona Isabelle, à part.

C’est bien là le portrait de mon masque, son langage paraît sincère ; mais il faut une dernière épreuve. (Haut.) Je sais qui vous êtes, ne cherchez pas à me tromper, vous vous nommez don Louis de Villenas ; vous êtes venu à Murcie pour épouser dona Isabelle d’Ayamonte, la nièce du gouverneur chez qui nous sommes ; vous devez lui être présenté demain à midi. Vous voyez que je suis bien informée.

D. Louis de Villenas, embarrassé.

Il est vrai, je dois épouser… mais je n’épouserai… (À part.) Au diable Casterey avec sa précaution… Je ne puis dire que je n’épouserai pas dona Isabelle.

Dona Isabelle.

Eh bien ! si vous m’aimez, je n’en veux qu’une seule preuve ; refusez demain formellement dona Isabelle.