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HISTOIRE. — PHILOSOPHIE.

sur la terre, voyageurs jetés loin de la patrie sur une plage inconnue, ils allaient y mourir avant d’avoir fondé une autre patrie, lorsque Orphée, les saisissant d’une main puissante, entreprit de rattacher leurs destinées à moitié brisées aux destinées nouvelles de l’humanité.

Subjugués par l’harmonie de sa lyre, les farouches habitans de la Samothrace l’écoutèrent avec ravissement ; des facultés, des sympathies long-temps assoupies, s’éveillèrent dans leurs cœurs ; ils se trouvèrent enchaînés par un lien subitement formé, et entrèrent tous ensemble dans ce nouveau monde, que la voix d’Eurydice et d’Orphée faisait sortir du chaos.

Orphée institue parmi eux la propriété, origine de tous les droits sociaux : il leur enseigne le mariage et les funérailles ; il enchaîne de mille liens l’intérêt de chacun à l’intérêt de tous, et créant l’autorité, base, lien, pivot de toute société, il la légitime en la fondant sur l’assentiment. Il ranime dans leurs cœurs l’idée d’un dieu juste et bienfaisant, qui s’était éteinte dans le souvenir effrayant des antiques catastrophes ; il leur apprend à reconnaître ses lois providentielles dans l’ordre et les harmonies du monde ; il leur apprend aussi à remplacer, par des paroles harmonieusement combinées, les sons rudes et grossiers qu’ils articulaient à peine, tristes restes d’une ancienne langue, qui attestaient que l’intelligence humaine elle-même avait eu ses bouleversemens.

Nous voyons Orphée porter ensuite les mêmes bienfaits chez d’autres peuples, chez les Thraces entre autres, ou, se montrant au moment où deux partis allaient s’exterminer dans une sanglante bataille, pour mieux dire une horrible mêlée, sans art et sans gloire, il calme leurs haines et suspend leurs fureurs.