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FORMULE GÉNÉRALE DE L’HISTOIRE.

missionnaires de la civilisation, ils devaient en aller porter la lumière et les bienfaits aux hommes encore barbares ; pétrissant comme une molle argile ces rudes élémens des sociétés humaines, ils devaient en faire un peuple, une nation ; puis les initier par degré à tous les mystères de la vie sociale.

Or, M. Ballanche a supposé que, parmi les noms de ces conquérans pacifiques, la postérité conservant le nom du seul Orphée, l’aurait imposé à tous : c’est pour cela qu’il en a fait le héros de son poème ; pour lui Orphée est la personnification de l’influence égyptienne sur la civilisation grecque, intermédiaire entre l’homme civilisé et l’homme barbare, l’homme déchu et l’homme réhabilité ; les représentant tous les deux, il est aussi l’homme tout entier, l’homme même.

M. Ballanche a réussi avec un rare bonheur à donner une mystérieuse et poétique réalité à cette existence symbolique.

Nous voyons d’abord Orphée errant au hasard dans l’immensité du monde ; il ne peut nommer ni sa patrie, ni ceux qui lui ont donné le jour ; des oracles lui ont révélé qu’il ne lui sera pas accordé de se survivre dans une longue postérité.

Ayant dévoué sa vie à la noble mission de répandre parmi les hommes les enseignemens qu’il a puisés dans le sanctuaire de l’Égypte, long-temps il sème une parole stérile, et si l’harmonie de sa lyre attire pour quelques instans autour de lui les barbares au milieu desquels il va hardiment se placer, il ne tarde pas à s’en voir abandonné.

Les paroles qu’il prononce n’enchaînaient d’aucuns liens, ni à lui, ni entre eux, ceux qui l’écoutaient ; ils se dispersent bientôt, semblables aux feuilles balayées