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HISTOIRE. — PHILOSOPHIE.

sociales ont un développement harmonique et providentiel ; qu’elles forment une chaîne continue dont aucun anneau ne peut être brisé par la force brutale ou le hasard aveugle.

Mais ce n’est pas assez que cette chaîne enlace de ses anneaux la terre tout entière. Il faut en rattacher au-delà de ce monde les deux extrémités ; car, de même que le pilote sur l’Océan demande sa route aux étoiles du ciel, c’est au ciel aussi que le philosophe demande le mot de la mystérieuse énigme de notre monde.

Et il suffit bien en effet d’un seul coup-d’œil jeté sur l’homme pour se convaincre que cette terre ne peut le contenir tout entier !

Emprisonné dans le temps et dans l’espace, il s’y agite avec une impatience mal contenue. Il a des souvenirs et des espérances du ciel ; il se montre sur la terre comme un étranger, comme un voyageur égaré, comme un roi détrôné, qui, sous le manteau de l’exilé, laisse percer quelques débris de la pourpre. Il est fugitif, variable, périssable, mais il a des instincts exquis : l’amour, la religion, la poésie, par lesquels il touche à l’éternel et à l’infini. Demain en poussière, et le sachant, il n’en réclame pas moins l’éternité pour les sentimens qui font battre sa misérable poitrine, et elle lui paraît suffire à peine à leur immensité. Au milieu de mille tombeaux qui s’ouvrent à ses côtés, et par lesquels la terre entière paraît lui crier du fond de ses entrailles mort et néant, il croit à sa propre immortalité. Il honore la vertu ; il a foi en Brutus, en Charlotte Corday ; il se plaît à déployer des facultés noblement inutiles sur cette terre ; et si quelquefois, comme ébloui de son propre éclat, il tente de lui échapper en se réfugiant dans quelques systèmes avilissans, produits d’une pensée