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jours diminué de qualité, et la multitude de quantité, le mouvement cesse tout à coup dans la solitude. » C’était moins fou qu’on ne l’a pu croire. Jouissons donc du présent au théâtre, me suis-je dit ; accrochons-nous-y, comme aux branches d’arbre un enfant qui se noie ; allons où va tout le monde, et voyons. J’ai vu Antony.

Certes, je me garderai de vous envoyer une analyse pareille à celles que l’on fait d’habitude scène par scène, acte par acte. Elle me résistait, je l’ai assassinée ; voilà tout le drame ? oui, voilà tout, et il a fallu un bien grand talent pour tirer cinq actes d’une idée d’honneur conservé, d’un sentiment abstrait et tout moderne, qui n’eût fourni à tant d’autres qu’une esquisse pareille à celles du Gymnase. Rendons grâce aux auteurs qui savent développer, dans ce temps où tout se rétrécit, se fait à la hâte, se lit, se voit en courant. Les ébauches perdent les tableaux ; remercions ceux qui peignent sur de grandes toiles, car on en serait venu à réduire le Tartufe et le Misanthrope chacun à un acte. On a dit qu’Antony parlait trop. Loin de trouver cela, je trouve qu’il ne parle pas assez, car toute la pièce est le développement de son caractère et de ses sentimens violens. J’aurais voulu plus que cinq actes pour le connaître davantage et me rendre compte plus long-temps et plus profondément de ces deux fureurs dont je vous ai parlé, et qui se partagent son cœur ; fureur d’amour, un peu matérielle, je le crains, et fureur de bâtardise un peu trop philosophique pour l’indulgente année 1831. J’aurais voulu tout un roman pour cela, et un roman d’analyse tel que Werther ou Adolphe. S’il y a du mérite à avoir étendu l’action par le développement des caractères, il n’y en a pas moins à avoir su s’arrêter et contenir les caractères dans les bornes de l’action. C’est de quoi on n’a pas assez loué M. Dumas ; il est vrai qu’en général on loue le moins qu’on peut, ce n’est pas piquant.

Rien de pis, selon moi, que de juger sans se placer au point de vue de l’auteur. Une fois que l’on aura admis l’existence (et elle est très-possible) d’un jeune homme profon-