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ALBUM.

sible de croire que M. Dumas écrive un ouvrage pareil sans une pensée dominante et sans conclusion, comme on parle sans idée dans un bal. Non, je crois ce drame médité dans un but d’utilité morale et même religieuse. Je le comprends comme une satire de notre siècle et de notre année même, portant à l’aversion, à l’horreur même de l’athéisme, du matérialisme, de l’égoïsme, de la présomption, de la domination orgueilleuse de la force physique sur la faiblesse ; tout cela personnifié artistement dans le rôle original d’Antony.

Cela dit, ce drame est un ouvrage très-beau.

Et quelle idylle voulez-vous offrir, je vous prie, à une société blasée à qui suffisent à peine les scènes sanglantes du théâtre, qui se réjouit à la vue des bêtes féroces, et demandera bientôt des combats de gladiateurs pour voir couler le vrai sang ? croyez-vous qu’un homme qui a dessiné Paula, Saint-Mégrin et son joli page n’eût pas été capable d’une pièce couleur de rose, et qu’il n’eût pas pu mettre en scène un amour moins scandaleux ? Eh, bien ! s’il l’eût fait, on n’y serait pas allé en foule, soyez-en sûr, et tout ce que renferme l’ouvrage de mots spirituels, d’observations fines, de tableaux vrais sur la société du jour, tout se fût perdu, si le cadre n’eût été noir. Ce cadre sombre attire les yeux de force, captive l’attention et attache aux détails qui sont l’essentiel. Je me trompe fort, ou l’auteur a pensé à cela. C’est une mauvaise plaisanterie qui se renouvelle trop souvent ici, que de vouloir toujours chercher bien haut de coupables projets contre l’ordre social dans des œuvres d’art ; je ne crois point que l’auteur ait eu le moins du monde l’intention que lui ont supposée quelques personnes de vouloir abolir parmi nous l’usage de se marier et établir celui de tuer les femmes dont le mari demeure sous le même toit ; ce serait par trop noir, et M. Dumas n’en veut sûrement pas tant. S’il est vrai du reste, qu’il ait formé cette grande entreprise, comme un journal l’assure, la suite le dévoilera. Pour moi, chétif, je me bornerai à vous parler des questions d’art que renferme ce brillant drame.