Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 2.djvu/287

Cette page a été validée par deux contributeurs.
277
ESQUISSES MORALES.

doivent continuer à barbouiller leur papier, et nous laisser faire les finances, la guerre, la justice. Nous n’allons pas les troubler dans leurs bibliothèques ou dans leurs méditations, qu’ils ne viennent pas nous encombrer dans les ministères et à la tribune. Chacun chez soi. Aussi bien ils n’y apportent que des rêves et de belles phrases ; et dans les affaires, voyez-vous, on a besoin de sens commun, on veut du positif : ce n’est pas là, je crois, votre spécialité à vous autres. » Et il faut avoir entendu, pour y croire, le rire énorme et foudroyant qui suivit ces phrases ; toutes les facultés physiques et intellectuelles du fonctionnaire s’étaient réunies dans cet éclat de rire ; le fonctionnaire tout entier faisait explosion.

— Et d’abord, lui répondis-je très-froidement, ne parlons pas d’hommes de lettres : je n’ai jamais su ce que c’était ; cela ne me représente absolument rien. Vous savez peut-être qu’il y a des historiens, des philosophes, des poètes : ce sont des gens qui passent leur vie à étudier l’homme, les peuples, la nature, tous les secrets de l’âme, tous les ressorts des sociétés, et à qui Dieu a donné la richesse de l’imagination, la force du jugement et la grâce de la parole, pour convaincre, instruire et charmer. Quant aux hommes de lettres, à moins qu’ils ne s’amusent, comme le dit M. Charles Nodier dans son Roi de Bohême, à éplucher des syllabes, à écosser des adverbes, à pondérer des hémistiches, je ne vois pas ce qu’ils font. C’est un titre que prennent beaucoup de gens fort étrangers à la vraie littérature, comme des gens qui ne sont ni avocats, ni magistrats, se font appeler hommes de loi. Il faudrait en finir avec ces dénominations vagues et banales, et pour cela, il faudrait que les hommes qui sont réellement quelque chose s’entendissent tous pour ne plus vouloir s’entendre nommer ainsi. Maintenant revenons à la question.

Les poètes, les philosophes, les historiens, sont-ils capables de bien remplir toutes les fonctions publiques ? — Oui, mille fois oui, et mille fois mieux que personne, malgré le vieux préjugé que j’ai honte de combattre encore. — Faut-il donc appeler les philosophes, les historiens et les poètes aux