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LITTÉRATURE.

Le pauvre père n’eut pas de peine à reconnaître là une de ces insolences perfides, si communes aux Arabes dans leurs relations avec les chiens de chrétiens, et n’étant pas le plus fort, il n’osa rien dire. Mais son amour-propre et sa bonne foi furent si cruellement blessés de cette avanie qui lui était faite en présence de l’interprète, qu’il baissa sur sa poitrine sa vieille tête tremblante et sa barbe grise ; son front chauve, ridé, et habituellement pâle et jaune, était devenu d’une excessive rougeur, qui se faisait remarquer jusque sur la peau luisante de son crâne : il se retourna et s’approcha de la muraille comme un enfant honteux, et enfin il pleura.

L’interprète s’avança vers lui, et remarquant les grosses larmes qui roulaient sur la barbe du vieillard, lui serra la main avec force.

« Venez, venez, lui dit-il brusquement, ces gens-là ne valent pas la peine que vous vous donnez. Cela fait mal de voir pleurer un brave homme comme vous. »

Le bonhomme, tout-à-fait abattu, se laissa emmener sans résistance, et marchant à demi courbé, s’appuya sur le bras de l’interprète, comme il aurait pu faire sur celui de son fils. Il était tout pensif et ne disait rien, il ne voyait même pas trop le chemin qu’on lui faisait prendre ; et son guide, le soignant avec une attention toute filiale, fut obligé plusieurs fois de recouvrir la tête du père avec son capuchon, et n’oublia jamais de le conduire à l’ombre ou d’un petit bois d’acacias, ou des pans de murailles, ou des murs de temple, ou des colosses tombés ; il regardait avec un intérêt triste ce pauvre vieillard infirme, jeté tout seul dans un désert, au milieu des Barbares, sans autre appui que sa foi, et voué à une seule idée dans laquelle il était trompé, celle de son prosélytisme.

Tous deux marchaient silencieusement dans ces grandes solitudes, et s’arrêtèrent au pied des rochers calcaires qui ferment la vallée des tombeaux. Ce ne fut qu’en cet endroit que le missionnaire s’aperçut qu’il avait marché : il s’arrêta, et essuya la sueur de son front.