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ESSAIS DE PALINGÉNÉSIE SOCIALE.

parts, c’est son éminente beauté. Croyaient-ils donc, ces patriciens si fiers, que tous les dons de la nature dussent leur être réservés ? Les ménades qui suivent le char de Bacchus brillent par l’éclat de la beauté, aussi bien que les muses dont se composent les chœurs d’Apollon. »

Une voix sort du milieu de la foule : « Décemvir, l’amour est entré dans ton farouche cœur ! Le serpent de la séduction n’y serait-il point entré en même temps ? ne t’inspirerait-il pas quelque mauvais dessein ? »

Une autre voix sort également du milieu de la foule : « L’honneur obscur des plébéiens pourrait-il être plus en sûreté que leur vie ? Siccius a été tué sans jugement. »

« Juste ciel ! dit le décemvir, qui frémit d’être réduit à se justifier, juste ciel ! qui oserait ici m’accuser ? Ne suis-je pas législateur ? n’ai-je pas dit moi-même la loi sévère qui interdit aux patrons toute embûche contre leurs propres cliens ? Cette jeune fille ne m’appartient à aucun droit ; je ne puis rien sur elle. Je veux la rendre à son patron, qui est son père légal ; et c’est à son patron à la protéger. La jeune fille aurait-elle à se plaindre de celui que les lois chargent de la protéger ? Me voici sur mon tribunal pour lui rendre justice. »

Mille entretiens confus, mille paroles heurtées retentissent et grondent avec menace : « Périsse l’impunité ! périsse l’impunité ! » Toutes les autres paroles, expressions lamentables ou terribles, se perdent au milieu d’un bruit devenu de plus en plus sinistre. Et cependant, malgré l’agitation de la multitude, un cercle qu’on eût dit tracé par une puissance invisible laisse