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LITTÉRATURE.

moins de fierté quelque chose de ce patriotisme inflexible qui aurait fait honneur à un vieux Romain, et cette impression ne sera peut-être pas sans intérêt pour mes lecteurs, car elle se rattache à un nom que les biographes ont oublié, comme tant d’autres, quoique le singulier personnage qui le portait, et dont la nature avait fait le type achevé d’un démagogue, ne soit pas passé tout-à-fait inaperçu au milieu de nos orages révolutionnaires ; je parle de Charles Hesse.

Le gouvernement de notre division militaire était alors confié à ce prince étranger, et ce n’est pas la moindre bizarrerie de ces jours bizarres. Celui-là pouvait se flatter, au reste, et il n’y manquait pas, d’avoir racheté ce qu’il appelait la tache de son auguste naissance, par une exagération de principes à laquelle Clootz ou Chaumette auraient volontiers porté envie. Plus il était né haut et plus il sentait de sang royal couler dans ses veines, plus il se croyait obligé à pousser aux derniers excès le cynisme et la frénésie de l’opinion.

La nature l’avait, au reste, admirablement préparé à jouer un pareil rôle avec succès. C’était un homme de trente à quarante ans, d’une taille fort élevée, fort mince, assez bien prise, mais dépourvue de dignité et de grâce. Sa face blême, couronnée de cheveux d’un blond ardent, n’avait de remarquable que l’énorme saillie des apophyses. Ses yeux, d’un bleu terne, n’exprimaient ni noblesse ni finesse. Il prononçait le français avec quelque facilité, mais de manière à faire comprendre qu’il n’aurait été ni éloquent, ni disert, ni spirituel en aucune langue. Son principal moyen oratoire consistait dans une gesticulation anguleuse et saccadée, qui avait quelque chose de convulsif, et qui annonçait un état presque non-interrompu d’éréthisme musculaire. Les transitions de ses discours, et même ces courtes suspensions de débit qui ne servent qu’à reprendre haleine, étaient accompagnées chez lui d’un claquement de dents si sonore et si strident, qu’on l’aurait pris au premier abord pour un bruit de castagnettes et ce grincement sauvage, qui se faisait entendre à