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L’ENFANT MAUDIT.

ses deux mains presque humides, afin de se dresser insensiblement, et de faire quitter à la moitié de son corps endolori la posture horizontale qui la privait de son énergie.

Au moindre bruissement de l’immense courtepointe en moire verte, sous laquelle elle avait si peu dormi depuis son mariage, elle s’arrêtait comme si elle eût tinté une cloche. Puis, forcée, par la nécessité, d’épier l’effet que ses mouvemens produisaient sur le sommeil de son mari, elle dirigeait alternativement le regard de ses longs yeux bleus sur les plis de la moire importune, et sur une large figure basanée, dont elle sentait la moustache à son épaule. Si une respiration par trop bruyante s’exhalait des lèvres de son gardien, la jeune femme exprimait des peurs soudaines qui ravivaient encore l’éclat du vermillon répandu sur ses joues blanches par les angoisses d’un enfantement prochain. Elle ressemblait à un criminel, qui, parvenu nuitamment jusqu’à la porte de sa prison, espère, pendant le sommeil du geôlier, faire tourner sans bruit, dans une impitoyable serrure, la clef qu’il a savamment dérobée.

Enfin la comtesse réussit à se lever sans avoir troublé le calme qui régnait sur le visage de son mari. Quand elle se trouva sur son séant, elle laissa échapper un geste involontaire de joie enfantine qui accusait une touchante naïveté de caractère ; mais le sourire à demi formé sur ses lèvres enflammées fut promptement réprimé. Une pensée vint rembrunir son front pur, et sa brillante figure reprit une expression de tristesse. Elle poussa un long soupir, replaça ses mains, non sans de prudentes précautions, sur le fatal oreiller conjugal ; et, comme si, pour la première fois depuis son mariage, elle se trouvait libre de ses actions et de ses pensées, elle regarda timidement autour d’elle. Vous eussiez dit d’un oiseau contemplant sa cage.

L’on devinait facilement que naguère elle était toute joie et toute folâtrerie, mais que, subitement, le destin avait moissonné ses espérances et changé sa gaîté ingénue en mélancolie.