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narrateur qui vient à longs intervalles, de pays lointains ou tenus pour tels, par des chemins difficiles [1]. Il y a là des indications dont les historiens feront bien de tenir compte.

Étudier l’action des différents milieux, aux différentes époques de la guerre, sur la naissance, la diffusion, les transformations des récits paraît une des tâches les plus importantes qui s’offrent aujourd’hui aux personnes curieuses de psychologie collective. La guerre de position a eu ses fausses nouvelles ; la guerre de mouvement a eu les siennes, qui n’étaient sans doute pas du même type. Les erreurs de l’arrière et celles du front ne furent point pareilles. Dans chacune des armées alliées ou ennemies un folklore particulier s’épanouit. On vit, il est vrai, quelques légendes douées d’une vitalité très forte traverser les groupes sociaux les plus divers ; mais à chaque passage elles se coloraient de teintes nouvelles. Rien ne serait plus instructif que de les suivre dans leurs pérégrinations. Parmi elles, les plus remarquables peut-être furent celles qui s’attachèrent à certains individus, que leurs actes ou leur situation rendaient particulièrement propres à frapper l’imagination commune. Autour de ces figures, chargées aux yeux de la foule les unes de gloire et les autres d’opprobre, une prodigieuse floraison de représentations presque mythiques se développa. Le kronprinz par exemple eut son cycle, en Allemagne, semble-t-il, aussi bien qu’en France. Qui écrira la vie légendaire du kronprinz allemand [2] ?

Mais pour l’instant la besogne la plus urgente est de recueillir les matériaux. Il est temps d’ouvrir une enquête sérieuse sur les fausses nouvelles de la guerre ; car les quatre années terribles reculent déjà dans le passé et, plus tôt qu’on ne croit, les générations qui les ont vécues vont peu à peu commencer à disparaître.

  1. Ou si l’on tient quelquefois ses dires pour suspects, ce doute est aussi absurde et dépourvu de méthode que la foi la plus aveugle. Ainsi, au front, on voyait le même homme, alternativement, accepter bouche bée les récits les plus fantaisistes ou repousser avec mépris les vérités les plus solidement établies ; le scepticisme n’y était guère qu’une forme de la crédulité.
  2. Cf. les indications sur quelques questions à traiter données par C. Jullian dans une note intitulée : Folklore en temps de guerre, Revue des études anciennes, XVII (1915), p. 73. Voir aussi, sur le folklore militaire, un questionnaire dressé par le professeur suisse E. Hoffmann Krayer et reproduit dans la Revue des Traditions populaires, XXX, 1915, p. 107. On trouvera quelques indications sur les fausses nouvelles allemandes dans A. Pingaud, La Guerre vue par les combattants allemands, Revue des Deux-Mondes, 1916, 15 décembre ; cf. Dauzat, loc. cit., p. 103.