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étaient comme hantées. Qui n’a vu alors prendre pour des signaux suspects les plus innocentes lumières, ou même (je garantis l’histoire) les ombres alternantes produites sur les fenêtres d’un clocher par le vol inégal d’un couple de chouettes ? Chacun était à l’affût de ce qui pouvait confirmer un préjugé si commun. D’ordinaire, des hommes peu instruits ne se préoccupent guère de comprendre ou de ne comprendre pas un nom géographique. Si l’on a entendu Braisne au lieu de Brême, c’est vraisemblablement parce que beaucoup de soldats inconsciemment tendaient à déformer tous les récits qui leur venaient aux oreilles, pour les accorder à une opinion généralement acceptée, qui flattait l’imagination romantique des foules.

Une fois de plus nous retrouvons ici un très grand fait vers lequel semblent nous ramener tous les travaux relatifs aux légendes de guerre. C’est une conclusion générale, que les études futures devront sans doute prendre comme idée directrice afin de vérifier si elle s’applique à tous les cas. On peut la formuler comme il suit. Une fausse nouvelle naît toujours de représentations collectives qui préexistent à sa naissance ; elle n’est fortuite qu’en apparence, ou, plus précisément, tout ce qu’il y a de fortuit en elle c’est l’incident initial, absolument quelconque, qui déclanche le travail des imaginations ; mais cette mise en branle n’a lieu que parce que les imaginations sont déjà préparées et fermentent sourdement. Un événement, une mauvaise perception par exemple qui n’irait pas dans le sens où penchent déjà les esprits de tous, pourrait tout au plus former l’origine d’une erreur individuelle, mais non pas d’une fausse nouvelle populaire et largement répandue. Si j’ose me servir d’un terme auquel les sociologues ont donné souvent une valeur à mon gré trop métaphysique, mais qui est commode et après tout riche de sens, la fausse nouvelle est le miroir où la « conscience collective » contemple ses propres traits.

Les raisons pour lesquelles la guerre a été si féconde en fausses nouvelles sont pour la plupart trop évidentes pour qu’il vaille la peine d’y insister. On ne dira jamais assez à quel point l’émotion et la fatigue détruisent le sens critique. Je me souviens que lorsque, dans les derniers jours de la retraite, un de mes chefs m’annonça que les Russes bombardaient Berlin, je n’eus pas le courage de repousser cette image séduisante ; j’en sentais vaguement l’absurdité et je l’eusse certainement rejetée si j’avais été