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plus d’un manuel que les gradés ont dans leur sac enseigne comment on doit se conduire envers les civils rebelles ; c’est donc qu’il y en aura. La résistance des troupes belges, l’hostilité de la population belge étonnent profondément l’Allemand du commun ; il ne croyait faire la guerre qu’aux Français ; le plus souvent il ne connaît pas la réponse du gouvernement de Bruxelles à l’ultimatum du 2 août ; s’il la connaît il ne la comprend pas ; sa surprise se change aisément en indignation ; il croit volontiers capable de tout le peuple qui ose se dresser devant la nation élue. Ajoutez enfin que dans les esprits traînent à l’état de souvenirs inconscients, une foule de vieux motifs littéraires, — tous ces thèmes que l’imagination humaine, au fond très pauvre, ressasse sans cesse depuis l’aurore des âges : histoires de trahisons, d’empoisonnements, de mutilations, de femmes crevant les yeux des guerriers blessés, que chantaient jadis aèdes et trouvères, que popularisent aujourd’hui le feuilleton et le cinéma. Telles sont les dispositions émotives et les représentations intellectuelles qui préparent la formation légendaire ; telle est la matière traditionnelle qui fournira à la légende ses éléments.

Pour que la légende naisse, il suffira désormais d’un événement fortuit : une perception inexacte, ou mieux encore une perception inexactement interprétée. Voici, entre plusieurs, un exemple caractéristique [1]. « Des ouvertures étroites, fermées au moyen de plaques mobiles en métal, sont pratiquées dans la plupart des façades de maisons en Belgique ». Ce sont « des trous de hourdage, destinés à fixer les échafaudages de plafonneurs ou de peintres de façades », correspondant au dispositif de crochets qui, en d’autres régions, remplit le même office. Cette habitude de construction est, semble-t-il, propre à la Belgique ; du moins est-elle étrangère à l’Allemagne. Le soldat allemand remarque les ouvertures ; il n’en comprend pas la raison d’être ; il cherche une explication. « Or il vit au milieu des images des francs-tireurs… Quelle explication imaginerait-il qui ne lui soit suggérée par cette idée fixe ? » Les yeux mystérieux qui percent la face de tant de maisons, ce sont des meurtrières. Se préparant de longue date à une guerre de guérillas et d’embûches, les Belges les ont fait établir, comme dit une brochure vendue hélas ! au profit de la Croix Rouge, par des

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