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la fausse nouvelle courut la France aussi bien que l’Angleterre, et semble-t-il à peu près au même moment. C’est là, à mon avis, le fait crucial.

Y eut-il emprunt d’un pays à l’autre ? Des recherches détaillées permettraient sans doute de répondre avec quelque certitude ; une comparaison chronologique entre les témoignages anglais et français formerait le nœud du débat ; on devrait aussi s’attacher à déterminer si le bruit apparut en France d’abord dans les régions en contact direct avec les armées britanniques. Je n’ai pu faire ce travail. Mais j’ai l’impression que la légende, bien loin d’avoir passé la Manche, naquit spontanément à la fois en France et en Angleterre, et, probablement, en même temps sur plusieurs points tant du territoire français que du territoire anglais. La psychose collective était partout la même ; les incidents qui dans chaque cas particulier furent l’occasion du faux récit, différents dans leurs détails, se trouvèrent vraisemblablement pareils dans leurs traits essentiels : c’était la vue d’uniformes inaccoutumés, c’était une langue inconnue parlée par des soldats étrangers. Des perceptions justes en leur principe, mais mal interprétées, — unanimement déformées pour s’accorder aux ardents désirs de tous, — telle fut sans doute l’origine de la fausse nouvelle russe, comme de tant d’autres.

J’arrive enfin à l’étude de M. Fernand van Langenhove : Comment naît un cycle de légendes, Francs-Tireurs et atrocités en Belgique [1]. On ne saurait le lire sans émotion ; en tout temps la rigueur de sa méthode et la rare intelligence psychologique qui y brille en eussent fait une œuvre de prix ; mais ce qui la rend proprement admirable, c’est qu’elle ait été écrite en 1917, par un Belge. Si la légende des francs-tireurs, au lieu d’apparaître alors comme souillée d’un sang encore tout frais, avait été un de ces vieux mythes innocents dont sourient les folkloristes, M. van Langenhove n’eût pu en parler avec plus de probité et de calme. La bonne foi profonde qui anime ce petit livre ne lui a pas seulement donné, au moment où il a été composé, une force persuasive que l’art oratoire le plus consommé n’eût pu égaler ; elle l’a élevé au-dessus des circonstances où il naquit ; parmi les travaux de psychologie collective, il se place au tout premier rang.

  1. In-8, Paris, 1916. On en trouvera une analyse (publiée avant l’apparition même du livre) par F. Passelecq, sous le titre de : Un Cycle de légendes allemandes. Francs-tireurs et atrocités belges, dans le Correspondant, 25 déc. 1915, p. 997.