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pouvaient être prophétisés [1]. Rien ne serait plus instructif qu’une bonne étude, appuyée d’exemples précis, sur la presse de guerre, ses tendances, ses procédés de composition, son action. Les morceaux choisis de M. Lucien Graux ne nous donnent rien de semblable. La critique des sources en est absente.

Les fausses nouvelles sont énumérées confusément, sans autre ordre, semble-t-il, qu’un lien chronologique assez lâche. L’arrière et le front se mêlent. A vrai dire dans l’ensemble le front apparaît assez peu ; sa fécondité en beaux récits est méconnue [2] ; les conditions particulières que la vie aux tranchées imposait à la propagation des renseignements de tout ordre ne sont décrites nulle part. D’une façon générale aucun effort n’est fait pour analyser les milieux où naissaient et se répandaient les bruits. Que dirait-on de recherches sur la légende napoléonienne qui laisseraient de côté le colportage, ou sur les traditions médiévales qui ignoreraient le rôle joué, dans une société encore peu dense, par les jongleurs, les pèlerins, les marchands, les moines vagabonds ? sans doute qu’elles négligent les problèmes essentiels. C’est ce qu’il faut dire aussi de ce livre sur les Fausses Nouvelles de la Guerre, où le

  1. Bolo devait être fusillé le 6 avril 1917 ; il y eut sursis au dernier moment, et l’exécution différée n’eut lieu que le 17. Or, si l’on en croit M. Graux (p. 414, n. 2), on vendit le 6 une édition spéciale donnant tous les détails de ce qui devait se passer onze jours plus tard. Malheureusement le fait est cité sans références, ce qui rend la vérification difficile : une édition spéciale, de quel journal ? Cette négligence est fâcheuse, car il semble bien que nous tenions là une preuve parfaitement nette de l’habitude de presse que j’indiquais plus haut. Il va de soi qu’une pareille aventure ne peut être considérée que comme un cas extrême, un cas limite. Un bon directeur de journal eût bien fait écrire le récit d’avance pour pouvoir le lancer plus tôt ; mais, avant de le publier, il eût attendu au moins d’avoir confirmation de l’événement. Je suppose que, d’ordinaire, les choses se passent comme il suit : les reporters, préoccupés d’être prêts au plus vite, rédigent par anticipation ; ils arrivent sur le terrain avec leur papier tout fait ; après avoir observé, ils le modifient, s’il y a lieu, sur les points importants, mais vraisemblablement sans toucher jamais aux détails accessoires, considérés comme indispensables à la couleur de la narration, mais dont la fausseté ne choquera personne, puisque personne, ou presque, ne la reconnaîtra. Voilà du moins ce que j’imagine, peut-être à tort. Il serait extrêmement utile qu’un journaliste nous donnât une bonne étude, sérieuse et sincère, sur les procédés du reportage ; rien n’importerait davantage à la critique des sources, telle qu’elle s’impose à l’histoire contemporaine.
  2. Voici, en particulier, un passage qui me semble tout à fait inexact : « … le poilu, les officiers subissaient l’effet, bienfaisant ou nuisible, de la fausse nouvelle, mais le plus souvent, cette fausse nouvelle qui alimentait leurs entretiens était née, à quelques pas, dans la terre à peine remuée d’un trou d’obus… C’est dire qu’elle avait trait, non plus à ce que l’on pourrait appeler les grandes directives de la guerre, mais, à des considérations et des questions localisées qui évoluaient à l’aise dans le champ visuel du soldat » (II, p. 249). Je crois que le « champ visuel du soldat » était beaucoup plus vaste que ne le pense M. Graux.