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Les documents dont s’est servi le docteur Lucien Graux — si on laisse de côté quelques souvenirs personnels et quelques lettres — ce sont presque uniquement les journaux. Un long recueil de centons, empruntés à cette source, découpés, semble-t-il, au jour le jour et mis bout à bout, voilà toute l’œuvre ; je laisse de côté les digressions et les développements oratoires. Or la fausse nouvelle de presse a certes son intérêt : mais c’est à condition qu’on reconnaisse ses caractères propres. Elle représente d’ordinaire quelque chose de fort peu spontané. Sans doute arrive-t-il parfois qu’un bruit, répandu dans le pays, ou dans un certain groupe social, soit reproduit, en toute innocence, par un journaliste ; il y aurait beaucoup de naïveté à refuser aux reporters toute naïveté. Mais le plus souvent la fausse nouvelle de presse est simplement un objet fabriqué ; elle est forgée de main d’ouvrier dans un dessein déterminé, — pour agir sur l’opinion, — pour obéir à un mot d’ordre, — ou simplement pour orner la narration, conformément à ces curieux préceptes littéraires qui s’imposent si fortement aux plus modestes publicistes et où traînent tant de souvenirs des vieilles rhétoriques ; Cicéron et Quintilien ont dans les bureaux de rédaction plus de disciples qu’on ne le croit communément. M. Graux a rassemblé les renseignements donnés par les différents journaux sur les réponses faites par M. Malvy à la dernière question du Président de la Haute Cour [1], sur la mort de Bolo-Pacha [2], sur l’audience finale du procès Toqué [3] ; les contradictions en sont frappantes et amusantes ; nous ne saurons vraisemblablement jamais si le chapeau de Bolo était marron ou noir, de forme ronde ou molle, ou si M. Malvy prononça d’une voix tranchante ou faible quelques mots, dont le Matin par exemple et la Petite République donnent des textes fort différents. Faut-il voir dans de pareilles divergences une illustration nouvelle de ces imperfections du témoignage humain que les psychologues ont mises en lumière ? Je n’oserais pas l’affirmer : car peut-être la plupart de ces récits avaient tout simplement été composés d’avance : ce qui expliquerait fort bien qu’ils reproduisent inexactement des événements, prévus dans leurs grandes lignes, mais dont les menus détails ne

  1. V. p. 384 à la note.
  2. Ibid., p. 414, n. 2.
  3. VII, p. 375.