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savons pas beaucoup mieux qu’avant comment se forme et vit une légende [1].

Les remarques précédentes s’appliquent aux expériences proprement dites, œuvres artificielles de l’ingéniosité humaine. Ce qui nous limite, en l’espèce, ce sont les bornes mêmes qui s’imposent à l’action d’un savant, bien incapable évidemment dans son laboratoire de modifier la constitution de la société ou de créer de grandes émotions communes. Mais voici qu’il s’est produit dans ces dernières années une sorte de vaste expérience naturelle. On a le droit en effet de considérer comme telle la guerre européenne : une immense expérience de psychologie sociale, d’une richesse inouïe. Les conditions nouvelles d’existence, d’un caractère si étrange, avec des particularités si accentuées, où tant d’hommes à l’improviste se sont trouvés jetés, — la force singulière des sentiments qui agitèrent les peuples et les armées, — tout ce bouleversement de la vie sociale, et, si l’on ose ainsi parler, ce grossissement de ses traits, comme à travers une lentille puissante, doivent, semble-t-il, permettre à l’observateur de saisir sans trop de peine entre les différents phénomènes les liaisons essentielles. Sans doute ne peut-il pas, comme dans une expérience au sens ordinaire du mot, faire varier lui-même les phénomènes pour mieux reconnaître les rapports qui les unissent ; qu’importe, si ce sont les faits eux-mêmes qui montrent ces variations, et avec quelle ampleur ! Or, parmi toutes les questions de psychologie sociale que les événements de ces derniers temps peuvent aider à élucider, celles qui se rattachent à la fausse nouvelle sont au premier plan. Les fausses nouvelles ! pendant quatre ans et plus, partout, dans tous les pays, au front comme à l’arrière, on les vit naître et pulluler ; elles troublaient les esprits, tantôt surexcitant et tantôt abattant

  1. Ce que je viens de dire ne s’applique, bien entendu, qu’à ceux, parmi les travaux des psychologues, qui s’appuient sur des expériences montées par eux. Les historiens, curieux de mieux connaître le mécanisme de la fausse nouvelle, trouveront, au contraire, beaucoup à prendre dans les observations de certains psychologues portant sur des faits sociaux réels. On consultera, par exemple, avec beaucoup de profit un très remarquable mémoire de M. J. Varendonck : Les témoignages d’enfants dans un procès retentissant, Archives de Psychologie, XI (1911), reproduit dans la Psychologie du Témoignage, p. 147 suiv. ; on lira ces quelques pages avec d’autant plus de plaisir qu’on y verra comment de saines méthodes critiques peuvent sauver une tête innocente ; et — bien qu’il s’y agisse essentiellement de témoignages enfantins et, par conséquent, d’un aspect un peu particulier du grand problème du témoignage — on y rencontrera plus d’une indication intéressante sur la genèse des erreurs collectives.