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contraire, que serait sans eux ce que l’on appelait autrefois la « publique renommée » ? Dans les expériences des psychologues, jamais la fausse nouvelle n’atteint cette plénitude magnifique que seules peuvent lui donner une longue durée et des bouches innombrables.

Surtout, à ces créations de laboratoire l’élément le plus essentiel peut-être des fausses nouvelles de l’histoire fait défaut. Celles-ci sans doute naissent souvent d’observations individuelles inexactes ou de témoignages imparfaits, mais cet accident originel n’est pas tout ; en vérité, à lui seul il n’explique rien. L’erreur ne se propage, ne s’amplifie, ne vit enfin qu’à une condition : trouver dans la société où elle se répand un bouillon de culture favorable. En elle, inconsciemment, les hommes expriment leurs préjugés, leurs haines, leurs craintes, toutes leurs émotions fortes. Seuls — j’aurai l’occasion d’y revenir plus loin — de grands états d’âme collectifs ont le pouvoir de transformer une mauvaise perception en une légende. Comment des expériences, si bien menées qu’on les suppose, sauraient-elles nous rendre ces profonds frémissements sociaux ?

On peut présenter les observations que je viens d’esquisser sous une autre forme plus compréhensive, et peut-être plus précise. La psychologie du témoignage, telle qu’on a cherché à la construire jusqu’ici, est restée, par la force même des choses, confinée dans le domaine de la psychologie individuelle. Or, c’est de la psychologie collective que relève surtout la fausse nouvelle. Y a-t-il entre ces deux branches de la science psychologique une différence de nature, tenant à la substance même de leur objet ? Je me garderai bien de soulever ici ce problème, purement philosophique et peut-être purement métaphysique. Il me suffit qu’il y ait en fait entre elles une différence sensible à tous les esprits ; ni leurs méthodes, ni leurs résultats ne se recouvrent exactement. Quand il s’agit d’états de conscience collectifs, l’étude expérimentale, en particulier, est pratiquement inconcevable. Ainsi s’explique que les résultats des travaux rappelés plus haut, si intéressants qu’ils soient, demeurent à notre point de vue singulièrement restreints ; nos connaissances sur la perception, la mémoire, la suggestion, s’en sont trouvées largement enrichies ; par là même la critique historique en a reçu un appui très efficace ; mais, après avoir lu les comptes rendus de tant d’expériences bien conduites, nous ne