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que jadis Bernard la chapelle ou le réfectoire de son couvent [1]. Dans une déposition normale, c’est-à-dire mêlée de vrai et de faux, rien d’ordinaire n’est plus inexact que ce qui touche les petits détails matériels ; tout se passe comme si la plupart des hommes circulaient les yeux à demi-fermés au milieu d’un monde extérieur qu’ils dédaignent de regarder. Comment désormais prendre au sérieux, chez les chroniqueurs, les morceaux descriptifs, la peinture des costumes, des gestes, des cérémonies, des épisodes guerriers, tout ce bric à brac en un mot qui séduisait tant les romantiques, alors qu’autour de nous pas un témoin n’est capable de retenir correctement dans leur ensemble les menus faits sur lesquels on a interrogé si avidement les vieux auteurs [2] ? Ici, c’est une leçon de scepticisme que nous donnent les psychologues ; mais il faut ajouter que ce scepticisme n’atteint guère que des choses fort superficielles ; l’histoire juridique, ou économique, ou religieuse n’est pas touchée ; ce qu’il y a de plus profond en histoire pourrait bien être aussi ce qu’il y a de plus sûr.

Ainsi, grâce à la psychologie du témoignage, nous pouvons espérer nettoyer d’une main plus adroite l’image du passé des erreurs qui l’obscurcissent. Mais l’œuvre critique n’est pas tout pour l’historien. L’erreur n’est pas pour lui seulement le corps étranger qu’il s’efforce d’éliminer de toute la précision de ses instruments ; il la considère aussi comme un objet d’étude sur lequel il se penche lorsqu’il s’efforce de comprendre l’enchaînement des actions humaines. De faux récits ont soulevé les foules. Les fausses nouvelles, dans toute la multiplicité de leurs formes, — simples racontars, impostures, légendes, — ont rempli la vie de l’humanité. Comment naissent-elles ? de quels éléments tirent-elles leur substance ? comment se propagent-elles, gagnant en ampleur à mesure qu’elles passent de bouche en bouche ou d’écrit en écrit ? Nulle question plus que celles-

  1. Cf. Revue de Synthèse, XIV, p. 158. Il est juste d’ajouter que saint Bernard paraît tout de même avoir été plus distrait que le commun des hommes : il lui arriva, dit-on, de côtoyer le Léman pendant toute une journée sans y prendre garde ; le fait est signalé par l’abbé E. Vacandard dans sa Vie de saint Bernard, I, p. 60, avec une référence fausse que je n’ai pu identifier.
  2. Bien entendu, un témoin d’autrefois, comme un témoin d’aujourd’hui, mérite, en général, d’être cru lorsqu’il décrit un objet particulier, facile à percevoir, sur lequel son attention a, d’avance, été spécialement attirée, mais non pas lorsqu’il dépeint l’ensemble du milieu matériel où se déroule l’action qu’il relate.