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Par un équitable retour les résultats de leurs travaux, si incomplets encore qu’ils paraissent, apportent dès aujourd’hui aux historiens un secours précieux. Nos défiances jusqu’ici étaient surtout instinctives ; elles se fonderont de plus en plus en raison. Notre doute devient méthodique. Par là même il trouvera ses justes limites. Il n’y a pas de bon témoin ; il n’y a guère de déposition exacte en toutes ses parties ; mais sur quels points un témoin sincère et qui pense dire vrai mérite-t-il d’être cru ? question infiniment délicate, à laquelle on ne peut donner d’avance une réponse immuable, valant en tous cas ; il faut examiner soigneusement chaque espèce et se décider chaque fois d’après les besoins de la cause. Mais les solutions particulières n’auront de base sérieuse que si elles s’inspirent de principes généraux ; ces directives, à qui les demander sinon aux observations sur le témoignage ? De quelles lumières déjà l’œuvre des psychologues n’éclaire-t-elle pas les grands drames de l’histoire : l’affaire des Templiers par exemple, ou celle de Gilles de Rais [1] ou encore cette épouvantable tragédie à mille actes divers que furent les procès de sorcellerie !

Il y a plus : la critique méthodique du témoignage semble aboutir à une conséquence fort grave, bien qu’assez peu remarquée : elle a porté un coup très rude à l’histoire pittoresque. Guillaume de Saint-Thierri, dans sa Vie de saint Bernard, rapporte que celui-ci, étant moine à Cîteaux, ignora longtemps de quelle façon la chapelle, où il suivait régulièrement les offices, était éclairée ; il fut surpris d’apprendre un jour que trois fenêtres au chevet, et non pas une seule, comme il l’avait cru jusqu’alors, y versaient la lumière [2]. Sur ces traits, et d’autres analogues, l’hagiographe s’étonne et admire : quel grand saint une pareille indifférence aux vanités de cette terre ne faisait-elle point présager ! Nous savons aujourd’hui que pour se tromper à ce point sur l’aspect des choses qui devraient, semble-t-il, nous être les plus familières, pas n’est besoin d’être un Docteur de l’Église et un prince du mysticisme. Les étudiants du professeur Claparède, à Genève, ont prouvé, au cours d’expériences fameuses, qu’ils connaissaient aussi mal dans ses grandes lignes architecturales le vestibule de leur Université

  1. Cf. Salomon Reinach, Gilles de Rais, Cultes, Mythes et Religions, IV, p. 266 ; cf. ibid., p. 319. M. Ch.-V. Langlois croit, comme M. Reinach, à l’innocence de Gilles de Rais ; voir sa Notice sur M. Noël Valois, Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions, 1918, p. 156.
  2. S. Bernardi Vita, I, c. IV, 20, Migne, t. 185, col. 238.