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approximation encore beaucoup plus grande et vous expérimentez sur ces corps pour mieux savoir ce que c’est que la forme.

Mais admettre cela sans pouvoir le vérifier, n’est-ce pas encore faire une convention, qui est légitime sans doute puisqu’elle ne contredit pas la notion imparfaite que vous aviez de la forme, mais qui n’en reste pas moins arbitraire dans une certaine mesure.

Et alors la convention qui consisterait à définir la distance par le postulatum d’Euclide ne serait-elle pas tout aussi légitime, puisqu’elle ne contredirait pas non plus cette notion imparfaite, et beaucoup plus avantageuse à tous égards ?

Je vais encore faire une comparaison.

Je sais ce que c’est que le jaune ; cette notion est immédiate, et je ne saurais l’expliquer à un aveugle ; mais elle est imparfaite, car je confonds sous le nom de jaune des lumières très différentes dont la longueur d’onde varie entre certaines limites. Je constate que la lumière de la flamme du sodium me donne l’impression du jaune et je puis mesurer exactement sa longueur d’onde. De quel droit déciderai-je que cette lumière est le vrai jaune et que les autres corps jaunes ne sont qu’à peu près jaunes ? Cette affirmation n’est pas seulement invérifiable, elle n’a aucun sens. Parmi les corps qui me paraissent jaunes, il ne saurait y avoir ni vrai jaune ni faux jaune. Pourquoi y aurait-il une vraie distance et de fausses distances parmi toutes les grandeurs qui répondent à l’idée imparfaite que j’ai de la distance ? Quel sens peut-on attacher à une semblable distinction ?

4. Je puis définir la distance ; mais en ai-je le droit ? M. Russell, nous venons de le voir, ne saurait me le contester sans inconséquence. Mais les kantiens purs le pourraient encore. Il faut donc examiner leur objection ; la distance est-elle une notion immédiate, ce qui rendrait toute définition inutile et par cela même illégitime ?

Si je disais : la lumière jaune a sa longueur d’onde comprise entre telles limites, ce jugement ne serait pas une définition, quand même il serait le premier jugement que je porterais sur le jaune ; et en effet je savais ce que c’est que le jaune bien avant d’étudier l’optique ; et cela, parce que je puis me représenter le jaune.

Mais puis-je me représenter la distance ? Plus généralement puis-je me représenter l’espace géométrique, ou mieux puis-je me représenter les corps dans l’espace géométrique ?

L’espace géométrique est infini ; je pourrais donc tout au plus m’en représenter une partie. Mais cette partie, par cela même qu’elle