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H. POINCARÉ. — Sur les principes de la Géométrie.

un point donné appelé centre est égale à une longueur donnée appelée rayon. » L’élève écrit sans comprendre ; ensuite le professeur dessine un cercle sur le tableau. « Ah, pense l’élève, il aurait dû dire tout de suite : un cercle, c’est un rond ; on aurait compris ; tout le monde sait ce que c’est qu’un rond. »

L’élève de quatrième regarde le cercle comme une notion primitive. S’il osait parler, il contesterait au professeur le droit de le définir. Pour M. Russell, cela n’est plus vrai, mais la distance est encore une notion primitive.

Mais n’est-il pas aussi dupe d’une illusion analogue ? Avant de proclamer qu’une notion est immédiate, il faut y regarder de près ; un sentiment vague ne suffit pas. Il ne suffit pas de dire : « Tout le monde sait ce que c’est que la distance ».

3. Avant d’aborder cet examen, je voudrais faire remarquer la différence entre le système des kantiens et celui des partisans de M. Russell et appeler l’attention sur une difficulté qui est particulière à ce dernier système.

Les uns et les autres soutiennent qu’ils ont l’intuition directe de la distance, c’est-à-dire de je ne sais quoi qui leur apparaît comme éclairé d’une vive lumière.

Si une définition de la distance s’applique à ce quelque chose, elle est légitime ; si elle ne s’y applique pas, elle est illégitime. On peut encore donner arbitrairement le nom de distance à autre chose ; mais, si cette autre chose n’est pas cette étoile de première grandeur qui brille dans le ciel de leur intuition, si c’est quelque étoile voisine de dixième grandeur, on n’a fait ainsi qu’un changement de mot puéril.

Alors notre définition, pouvant être légitime ou illégitime, c’est-à-dire en définitive vraie ou fausse, sera un théorème ou un axiome déguisé.

Seulement pour les kantiens purs, cette intuition directe est parfaite et rend superflue toute expérience destinée à la compléter. Je n’adopte pas ce système, je dirai tout à l’heure pourquoi ; du moins est-il cohérent et exempt de contradiction.

Pour M. Russell, cette intuition est imparfaite puisque l’expérience seule peut la compléter. Qu’est-ce à dire : Vous savez à peu près ce que c’est que la forme ; vous voyez des corps qui (autant que cette notion imparfaite vous permet d’en juger) conservent leur forme ; vous admettez qu’ils la conservent tout à fait ou du moins avec une