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obstacle à un mouvement voulu. D’où il résulte que la notion de résistance est très complexe, et qu’elle suppose plusieurs autres notions qui elles-mêmes sont très loin d’être simples et primitives. En admettant donc qu’il y ait une première connaissance, résultant de notre première rencontre avec les choses, ce n’est assurément pas la résistance qui est cette première connaissance.

Nous arrivons au plus difficile de notre tâche, aux sensations elles-mêmes. Comment des sensations, c’est-à-dire de simples modifications affectives, comme la pression, la température, la lumière, le son, la saveur, et l’odeur, pourraient-elles n’être pas primitivement données comme une matière sur laquelle l’esprit travaille et sur laquelle il construit sa représentation des choses ? Il importe ici d’éviter toute confusion.

Sans doute il faut bien que quelque chose soit donné, à la suite de quoi la connaissance se produise. Mais il faut aussi convenir que ce donné primitif n’est nullement constitué par ce que nous appelons des sensations, attendu que ces prétendues sensations sont déjà en réalité des perceptions, et portent la marque de la puissance organisatrice de l’esprit. Faut-il d’ailleurs s’étonner que l’esprit ne puisse jamais trouver en lui-même son contraire, c’est-à-dire l’irrationnel absolu ?

La sensation de pression, si simple, si obscure, si primitive qu’on puisse la supposer, n’est pas encore un point de départ, un premier terme. En effet, il faut bien concevoir tout au moins que cette pression est sentie en une région de notre corps plutôt qu’en une autre ; en un mot il faut bien que cette sensation de pression soit localisée plus ou moins vaguement. Or, si elle est localisée, elle n’est ni simple ni primitive, car la notion de lieu est inséparable des notions de forme et de distance : les lieux ne peuvent se déterminer que par des distances relatives. De même la sensation de couleur n’existe jamais pour nous indépendamment de toute perception, c’est-à-dire de toute localisation ; la couleur nous apparaît toujours comme occupant, en un certain lieu, une certaine place, qui a de certaines dimensions et une certaine forme. De même pour toutes les sensations ; car les odeurs sont tout au moins senties dans le nez, les saveurs sur la langue, et les sons dans l’oreille ; de sorte qu’aucune sensation ne nous est jamais donnée sans quelque perception. En d’autres termes, nous ne voyons, parmi les connaissances dont se compose la perception, aucune connaissance qui soit vraiment premier terme ;