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E. CHARTIER.le problème de la perception

donc que nous n’avons pas d’autre type de la simultanéité que la succession régulière ; c’est donc que deux objets ne nous sont jamais donnés simultanément ; c’est donc que la distance ne nous est jamais donnée.

Les conséquences de cette analyse touchant la distance sont fort étendues et apparaissent pour ainsi dire d’elles-mêmes.

Les dimensions ne sont en effet que des distances entre certains points d’un même objet. La connaissance des dimensions suppose donc celle d’objets distincts et de distances ; c’est dire qu’elle est acquise, et qu’elle suppose avant elle des notions acquises ; c’est pourquoi dans le récit imaginaire qu’il fait du premier réveil du premier homme, Buffon n’aurait pas dû supposer la connaissance des dimensions et des formes des objets. La forme d’un objet ne peut, en effet, résulter que du rapport de ses principales dimensions, et, par suite, la connaissance de cette forme suppose, outre la connaissance des dimensions, un travail de comparaison de ces dimensions entre elles. La connaissance des objets comme oblongs, arrondis, plats, etc., est donc elle aussi acquise, et non pas immédiate et primitive.

Venons maintenant à l’examen des qualités dites plus particulièrement sensibles, parce qu’elles se traduisent en nous par des connaissances confuses dans lesquelles l’émotion agréable ou désagréable domine.

Le poids d’un objet, c’est-à-dire sa propriété d’opposer toujours dans le même sens, une résistance à notre mouvement, sans changement de forme, n’est évidemment pas une notion simple. Il suppose la notion de résistance et celle de direction constante, et, par suite, il ne peut être donné primitivement : la notion de poids est une notion acquise.

La notion de résistance n’est pas non plus simple, ni immédiate, ni primitive : elle se compose en effet d’une sensation de pression en un certain point de notre corps, sensation accompagnée de l’idée d’un corps extérieur qui presse, et de l’idée d’un mouvement volontaire de notre corps, lequel mouvement est cause d’une pression croissante. Cela suppose qu’on a déjà l’idée d’un but à atteindre, d’une distance à parcourir, d’un mouvement à faire ; on ne peut en effet vouloir sans savoir ce que l’on veut, ni faire effort, au sens propre du mot, sans avoir un but ; de plus il faut avoir une connaissance déjà précise des directions pour savoir qu’un corps fait justement