Page:Revue de métaphysique et de morale - 8.djvu/753

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.



LE PROBLÈME DE LA PERCEPTION

Le sens commun ne voit dans la Perception aucun problème ; il croit que percevoir est une fonction simple et immédiate, par l’effet de laquelle les choses sont présentées à la pensée telles qu’elles sont et toutes faites, avec leurs qualités, leurs dimensions, leur forme, leurs distances respectives et leurs positions.

Mais la réflexion démontre l’insuffisance de cette conception. En effet il est évident que certaines perceptions, qui paraissent immédiates, sont pourtant acquises : je vois un cube de pierre, et il me semble que je le vois immédiatement se détacher en relief sur le sol. Pourtant ce que je vois de ce cube ne diffère en rien d’un dessin tracé sur un plan, et qui me représenterait ce cube en perspective ; ce qui le prouve c’est que je puis m’y tromper, et prendre pour un relief un dessin habilement tracé sur un plan. Puisque je puis voir le relief sans qu’il existe, c’est donc qu’il n’est pas donné à la vue, mais qu’au contraire la pensée l’ajoute aux choses, c’est-à-dire à ce qui lui est donné par la vue, et comme une conséquence de ces données.

En général, toutes les fois qu’un de mes sens me trompe, je dois conclure que ce sur quoi il me trompe ne lui est pas donné tel qu’il le perçoit (sans quoi la perception serait vraie). Si les sous ne me faisaient percevoir que ce qui leur est donné, ils ne nie tromperaient pas ; ou, mieux, si je ne percevais que ce qui est donné à mes sens, tout ce que je percevrais serait réel par définition. Erreur suppose invention, addition, modification, création.

Mais tous les sens sont capables de nous tromper, d’où il est raisonnable de conclure que la plus grande partie des perceptions qui paraissent immédiates sont en réalité le résultat d’une éducation dont la mémoire n’a pas gardé les traces, et qu’avant d’apprendre à penser, nous avons dû apprendre à percevoir.