Page:Revue de métaphysique et de morale - 30, 1-2.djvu/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et d’apporter aux hommes l’allégement et le réconfort que sa dureté exige. Ainsi le problème reste en suspens. On raconte de Scipion l’Africain qu’accusé devant les comices d’irrégularités dans ses comptes, il s’écria : « Romains, à pareil jour, j’ai vaincu Annibal à Zama ; montons au Capitole en rendre grâce aux dieux ! » Le peuple le suivit, et il ne fut plus question de reddition de comptes. Le doute a gardé toute sa force depuis les deux penseurs et les études historiques en ont même approfondi la base. Les Églises ont-elles le droit de croire à une continuité vivante entre elles et le grand mouvement spirituel, parti il y a plus de dix-neuf siècles d’un coin de l’empire romain et dont l’idée maîtresse commandait de vivre désormais dans l’attente extrême du proche et surnaturel avènement d’un règne nouveau, attente qui rabaissait à une valeur infime les cadres humains de l’existence, la famille et l’État, l’art et la science, quand elle n’y voyait pas autant d’obstacles au royaume de Dieu ?

Ce n’est d’ailleurs pas ce procès seulement des Églises, quelque gravité qu’il ait eue, qui nous fait souvenir de Pascal et de Kierkegaard. Avant de conclure, leurs esprits ont développé des idées de grande importance : ici, comme souvent ailleurs dans le domaine de la pensée, la route parcourue a sa pleine valeur, indépendamment du but atteint. Chemin faisant, ils ont projeté des clartés sur la nature et les conditions d’existence de la vie spirituelle de l’homme, moissonnant sans compter des trouvailles psychologiques d’un haut prix. Ils ont apporté des contributions à ce que nous appelons aujourd’hui la théorie de la connaissance en faisant jouer la pensée à la dernière limite de son domaine. Ils ont montré que là même où le sentiment et la passion portent la parole, c’est encore l’idée qui détermine — telle une étoile conductrice — la direction du mouvement psychologique. Ils sont les champions de la Pensée, et leur lutte reste intéressante, qu’elle ait abouti ou non à la victoire. Ils suivirent des chemins divers. Leurs individualités apparaissent, au dedans et au dehors, sous des aspects différents, présentant, chacune, des traits constitutifs qui lui sont propres, et les milieux historiques où s’aiguisèrent leurs pensées étaient également fort dissemblables, tout en offrant entre eux certaines analogies.

Par leur style, déjà, ils diffèrent. Nous devons nous rappeler ici que les Pensées de Pascal, qui constituent son œuvre principale, ne se présentent pas à nous sous la forme définitive d’un ouvrage