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parfaite, c’est la pitié pour la misère des classes laborieuses, c’est un vague sentiment du trouble qui travaille les sociétés contemporaines, etc. Le socialisme n’est pas une science, une sociologie en miniature, c’est un cri de douleur et, parfois, de colère, poussé par les hommes qui sentent le plus vivement notre malaise collectif. Il est aux faits qui le suscitent ce que sont les gémissements du malade au mal dont il est atteint et aux besoins qui le tourmentent. Or que dirait-on d’un médecin qui prendrait les réponses ou les désirs de son patient pour des aphorismes scientifiques ? D’ailleurs, les théories qu’on oppose d’ordinaire au socialisme ne sont pas d’une autre nature et ne méritent pas davantage la qualification que nous leur refusons. Quand les économistes réclament le laisser-faire, demandent qu’on réduise à rien l’influence de l’État, que la concurrence soit affranchie de tout frein, ils n’appuient pas davantage leurs revendications sur des lois scientifiquement induites. Les sciences sociales sont encore beaucoup trop jeunes pour pouvoir servir de bases à des doctrines pratiques, aussi systématiques et d’une telle étendue. Ce sont des besoins d’un autre genre qui maintiennent ces dernières, c’est le sentiment jaloux de l’autonomie individuelle, c’est l’amour de l’ordre, la crainte des nouveautés, le misonéisme, comme on dit aujourd’hui. L’individualisme, comme le socialisme, est avant tout une passion qui s’affirme, quoiqu’il puisse éventuellement demander à la raison des raisons pour se justifier.

S’il en est ainsi, étudier le socialisme comme un système de propositions abstraites, comme un corps de théories scientifiques et le discuter doctrinalement, c’est le voir et le montrer par le côté où il ne présente qu’un médiocre intérêt. Quiconque a conscience de ce que doit être la science sociale, de la lenteur de ses procédés, des laborieuses investigations qu’elle suppose pour résoudre même les questions les plus restreintes, ne peut pas être bien curieux de ces solutions hâtives et de ces vastes systèmes si sommairement ébauchés. On sent trop l’écart qu’il y a entre la simplicité des moyens mis en œuvre et l’ampleur des résultats, et l’on est porté par suite à dédaigner ces derniers. Mais le socialisme peut être examiné sous un tout autre aspect. S’il n’est pas une expression scientifique des faits sociaux, il est lui-même un fait social et de la plus haute importance. S’il n’est pas œuvre de science, il est objet de science. Celle-ci n’a pas à s’en occuper pour lui emprun-