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revue de métaphysique et de morale.

D’un autre côté, à mesure que dans le mouvement l’effort s’efface et que l’action devient plus libre et plus prompte, à mesure aussi elle devient davantage une tendance, un penchant qui n’attend plus le commandement de la volonté, qui le prévient, qui souvent même se dérobe entièrement et sans retour à la volonté et à la conscience[1]. Tels sont surtout ces mouvements, d’abord plus ou moins volontaires, qui dégénèrent peu à peu en mouvements convulsifs, et qu’on appelle des tics.

Ainsi, dans la sensibilité, dans l’activité se développe également par la continuité ou la répétition une sorte d’activité obscure qui prévient de plus en plus ici le vouloir, et là l’impression des objets extérieurs[2]. Dans l’activité, elle reproduit l’action même ; dans la sensibilité, elle ne reproduit pas la sensation, la passion, qui veut une cause externe, mais elle l’appelle, elle l’invoque, elle l’implore en quelque sorte.

Or, la condition de la passion est la contrariété entre l’état actuel du sujet qui l’éprouve et l’état où tend à l’amener la cause qui la lui fait éprouver. Le semblable n’a pas d’action sur le semblable[3]. Ainsi l’attraction électrique suppose la contrariété des états électriques ; l’affinité chimique, la contrariété des éléments ; l’irritation, la contrariété de la substance irritante et de l’organe sur lequel elle fait impression ; telle est l’irritation qui détermine les fonctions préparatrices ou complémentaires de l’assimilation[4]. La sensation enfin exige la contrariété entre l’état de l’objet du sens et l’état du sens même.

Si donc il se développe dans la sensibilité, à mesure qu’elle subit la même impression, une tendance à persister dans le même état où l’impression l’avait mise, ou bien à y revenir, l’opposition entre l’état du sujet et l’état où l’impression externe le fait arriver disparaît de plus en plus, et, de plus en plus, la sensation s’affaiblit. Par exemple, toute sensation uniforme longtemps répétée, émoussant la sensibilité, provoque le sommeil, et elle le provoque d’autant plus qu’elle est plus forte, et que la sensibilité est plus vive. Tel est l’effet ordinaire d’un balancement ou bercement continuel, ou d’un bruit monotone, surtout dans l’enfance[5]. Or, si le mouvement ou le bruit

  1. M. de Biran, Infl. de l’habitude, p. 110.
  2. Reid, Essai sur les facultés actives, etc.
  3. Aristot., De an. II, 4 : ̓Ἀπαθοῦς ὄντος τοῦ ὁμιοίου ὑπὸ τοῦ ὁμιοίου.
  4. Id. ibid. Chaussier, ap. Buisson, loc. cit., p. 233.
  5. Cf. Barthez, Nouv. Élém. de la science de l’homme, XI, 2.