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objet, tant qu’il s’agit d’une expérience morcelée et incomplète, au delà de laquelle nous pouvons viser une expérience plus large. À mesure, en effet, que nous embrassons plus de choses, nous sommes mieux à même de mettre chacune d’elles à sa place, de la considérer dans toutes ses relations, et de nous en faire, par là, une idée juste ; ce qui revient à dire que nous sommes davantage situés au point de vue du réel lui-même.

L’expérience religieuse, la plus profonde et la plus large de toutes, nous fait entrevoir ce réel par excellence. Entièrement concret, le réel vrai est la relation, non plus seulement de concepts, mais de personnes, non plus de choses extérieures les unes aux autres et se poussant entre elles comme des billes, mais d’êtres libres, communiant intérieurement par l’action : Im Anfang war die Tat.

Mais s’il est vrai que, seule, cette expérience totale, dont l’expérience religieuse tend à se rapprocher, coïncide avec le réel véritable, il s’ensuit que l’objectivité dont jouissent les autres formes de l’expérience n’est autre chose, au fond, que leur rapport à l’expérience religieuse. C’est en tant que la conscience personnelle et relativement fermée trouve, dans une conscience ouverte à l’action d’autres consciences, l’explication de sa nature, qu’elle se considère légitimement comme une réalité. Et c’est en tant que les sciences de la matière trouvent dans l’expérience psychologique des principes qui rendent compte de leur propre expérience, qu’elles ne demeurent pas à l’état de vaine liaison d’images sans objets.

L’objectivité des sciences et celle de la psychologie dépendent donc de l’objectivité de l’expérience religieuse, loin que la première puisse être conçue comme seule véritable. Et le monde réel, pris dans sa réalité concrète, est non seulement tel que le voient les sciences, mais aussi, et dans son fonds même, tel que l’expérimente et tel que le fait la vie morale et religieuse de l'âme. L’âme est liberté, et cette liberté est à la racine de l’être et de l’expérience. L’expérience connaît ce qui est, ce qui arrive. Et rien, dans l’Univers, n’est tout fait pour l’éternité (ready-made). Partout et toujours l’Univers est en voie de création (in the making). La plus humble conscience qui, par la sympathie, s’unit à d’autres consciences dans la recherche du mieux collabore avec Dieu, pour faire, au monde dont il est citoyen, des destinées plus hautes.