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tuelle, dont la science positive est le plus parfait exemplaire, n’est pas primitive et adéquate au réel, mais dérivée et relative. Comment au juste s’opérait cette dérivation ? Question importante, car une explication proposée devient bien plus probable, quand elle montre, non seulement que deux termes sont liés, mais comment se fait le passage de l’un à l’autre.

Or, tandis que William James avait laissé ce problème dans l’ombre, Bergson, partant de ce principe que les données immédiates de la conscience sont essentiellement continues, indistinctes et mouvantes, et, par conséquent, ne peuvent être rendues fidèlement par des concepts, dont l’essence est la discontinuité et la fixité, expliquait comment, pour satisfaire à nos besoins pratiques, l’entendement compose, en appliquant aux données purement qualitatives de la conscience la forme de la quantité, de l’homogénéité déterminée et de l’immutabilité, des objets d’un maniement commode, qui sont précisément ceux que la science s’applique à définir et à classer.

Ainsi, parti d’un autre point et préoccupé d’autres problèmes, Henri Bergson arrivait, sur une question capitale, à des vues analogues à celles de James, et, par le développement qu’il leur donnait, complétait sur un point important sa théorie. Quoi de plus éloquent qu’une telle rencontre ! William James en fut heureux et fier, et se plut à la signaler à ses auditeurs de Manchester Collège en 1909.

La pensée de James n’en suit pas moins son cours, qui ne se confond pas avec celui de la pensée de Bergson. Pour celui-ci, si l’entendement déforme l’être donné dans l’expérience, c’est qu’il travaille pour la pratique. Chez James, si la connaissance intellectuelle est inadéquate, c’est qu’accommodée aux conditions d’une pratique d’ordre purement matériel, elle est mal propice à la pratique pure, qui serait l’action directe des âmes sur les âmes. Et, de même, si la connaissance intellectuelle est, pour Bergson, dérivée et non primitive, c’est qu’elle contient des éléments qui apparaissent comme étrangers aux données immédiates de la conscience : celles-ci, en effet, se réduisent à la durée, isolée, non seulement de l’espace, mais du temps lui-même. Pour James, c’est, proprement, le degré de complexité et de richesse de l’expérience qui en mesure le degré d’authenticité. L’expérience absolument immédiate serait l’expérience totale.

En ce sens s’achève la doctrine de William James sur le rapport de la réalité à l’expérience. Notre expérience diffère du réel, son