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Sous l'argumentation pragmatique, d’ailleurs, se cache, ajoute-t-on, un sophisme. Une idée vraie, selon le pragmatisme, c’est une idée qui se vérifie. Rien de plus juste. Mais elle se vérifie parce qu’elle est vraie, elle n’est pas vraie parce qu’elle se vérifie. La vérification est le signe, non la source de la vérité. Le pragmatisme confond ici l’ordre des choses avec l'ordre des opérations qui nous servent à les connaître. Certes, une idée, pour nous, ne devient vraie qu’après que nous avons pu la vérifier. Mais en soi, elle était, avant tout examen, intrinsèquement vraie ou fausse. Les rayons d’un cercle ont toujours été égaux. La vérification n’a pu que mettre en lumière une qualité de l’idée qui préexistait en elle. Et tout l’effort de la science tend, en ce sens, à découvrir et dégager la vérité, éternellement existante, non à fabriquer, au moyen d’expériences quelconques, une vérité toujours également relative et illusoire.

Telle est l’objection que plusieurs élèvent contre le pragmatisme. Des préoccupations métaphysiques s’y trahissent visiblement, en même temps que des habitudes d’esprit scientifiques. Vérité, estime-t-on, implique une valeur, non subjective, mais objective. Une idée vraie n’est pas seulement vraie pour moi, elle est vraie en soi. Or en quoi peut consister cette propriété, sinon dans le rapport de l’idée à un objet fixe, absolu, objet qui peut résider au dedans de l'idée ou en dehors d’elle, mais qui, nécessairement, se distingue de l’idée en tant que mienne, et même en tant que vérifiée par mon expérience ou par l’expérience de tous les hommes ? L’idée vraie ne peut tenir sa vérité que de sa conformité à son objet.

Le pragmatisme de William James accepte pleinement cette formule ; mais, comme le concept général de vérité, ainsi cette formule représente, à ses yeux, non un dogme à souscrire, mais une question à résoudre, et à résoudre expérimentalement.

En quoi consiste l’objet, norme nécessaire de l’idée vraie ? Il peut être conçu de deux manières. Selon certains philosophes, qui s’intitulent volontiers intellectualistes ou rationalistes, cet objet serait quelque chose d’éternel, d’absolument défini, d’immuable et d’intelligible en soi et par soi. En d’autres termes, ce serait la vérité elle-même, comme chose en soi. Le résumé de la doctrine intellectualiste, c’est : l’idée vraie est celle qui est conforme à la vérité. Définition excellemment logique ! Mais d’où savons-nous qu’il existe une vérité telle qu’on l’imagine, et quel moyen avons-nous d’en vérifier l’existence ? Une telle science, en tout cas, ne saurait nous venir