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remonter aux conditions physiques, peut-être indéterminables, de la production de cette idée : il suffit de la considérer en elle-même. Là où cette idée est présente, tel phénomène se produit ; si elle est absente, le phénomène n’a pas lieu. L’idée de telle fin à poursuivre éveille en moi des activités qui, si cette idée n’était pas intervenue, seraient demeurées endormies. Telle croyance religieuse grandit et hausse extraordinairement mon énergie, ou même guérit une maladie de mon corps. Ne sont-ce pas là des faits, exactement analogues au service que nous rend une formule mécanique si nous voulons réaliser un travail matériel déterminé ?

Il y a même cette différence, en faveur de l’idée psychologique ou religieuse, que, tandis que l’idée scientifique ne saurait être que la constatation d’un rapport préexistant dans la nature, l’idée religieuse peut créer elle-même le rapport qu’elle énonce. La foi est une force : elle peut guérir, exalter, engendrer, par sa vertu propre, et non pas seulement par l’effet des lois physiques qu’elle sous-entend. Il y a des cas où l’idée est, elle-même, créatrice de sa propre vérification.

On ne saurait donc réserver à l’expérience physique le monopole de l’idée vraie. Si l’on entend le mot de vérité dans son sens scientifique, il est également de mise à propos de l’expérience psychologique et même religieuse.

On fait, toutefois, une objection. Il est, dit-on, illégitime d’identifier la vérification dont l’idée est susceptible en matière psychologique et religieuse avec celle qu’elle reçoit en matière scientifique. Ici, c’est l’expérience de tous qui constate la fidélité de l’idée à ses promesses, son loyalisme ; là ce n’est qu’une expérience plus ou moins particulière et individuelle. La science, c’est nous ; l’âme et la religion, ce n’est que moi. Comment attribuer la même valeur à l’expérience universelle et à l’expérience individuelle. L’expérience scientifique, c’est l’expérience objective, l'expérience en soi. Elle se fait et se fixe, grâce à un travail critique qui, des impressions individuelles, dégage un ensemble de connaissances subsistant par lui-même comme une réalité distincte, et s’imposant aux consciences individuelles. L’expérience religieuse, au contraire, c’est l’expérience purement subjective, c’est l’expérience, non comme substantif, mais comme verbe, to experience, c’est-à-dire l’individu, éprouvant actuellement telle ou telle impression, que lui-même, peut-être, ne pourra plus éprouver demain. Donc l’une est connaissance, l’autre n’est que sentiment.