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SULLY PRUDHOMME. PSYCHOLOGIE DU LIBRE ARBITRE.

partie et d’une manière approximative au moyen de l’abstraction et de l’imagination créatrice. C’est l’expérience qui fournil à l’imagination tous ses matériaux et tous les moyens termes des rapports que celle-ci crée entre eux.

Il résulte de l’analyse de l’idée que l’idée du libre arbitre implique, comme je l’ai supposé tout d’abord, le caractère qui le définit, ce qui légitime les déductions que j’ai tirées de cette supposition en faveur de la réalité du libre arbitre.

Ai-je prouvé le libre arbitre ? Je n’ose le croire. Je n’aperçois pas, à vrai dire, le vice de ma démonstration, mais je préfère accuser de cet aveuglement un manque de sagacité chez moi plutôt que de pécher par une fallacieuse présomption. J’espère du moins avoir attaqué le problème d’une façon qui, mieux exploitée, pourrait en avancer la solution. Je commence, en effet, par mettre la métaphysique hors de cause en prévenant et écartant la difficulté que suscite tout d’abord à l’intelligence humaine le caractère métaphysique de l’activité libre. La question est ainsi cantonnée dans le domaine de l’expérience et ramenée sur le même plan que toutes celles qui relèvent de la science positive. Cela fait, je me borne à considérer le processus universel des événements et parmi ceux-ci l’idée du libre arbitre. Il m’apparaît alors que cette idée, par cela même qu’elle existe, est objective, ne peut pas ne pas être vraie, et pour la reconnaître je fais de ma raison le même usage que font de la leur les savants pour mettre en évidence n’importe quelle vérité d’ordre, purement expérimental.

Sully Prudhomme,
de l’Académie française.
Châtenay, 1906.