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SULLY PRUDHOMME. psychologie du libre arbitre.

extrémité qu’ils admettront l’entière indépendance d’un événement et si l’expérience interne témoigne qu’il en exista un, l’acte volontaire, ils déclarent, jusqu’à preuve du contraire, faillible cette expérience et illusoire l’idée d’un pareil acte.

Examinons de près leur hypothèse. Selon eux le processus universel est une succession d’événements dont chacun est conditionné par ceux qui le précèdent, de telle sorte que son antécédent immédiat le détermine immanquablement à l’existence, en un mot le nécessite. Ainsi, aucun événement n’existe par soi, n’existe sans être nécessité par quelque antécédent et, par suite, n’est un commencement absolu de processus. Le processif universel exclut donc précisément ce qui caractérise le libre arbitre. Remarquons, en outre, que l’idée du libre arbitre, en tant qu’événement psychique, appartient, au même titre que tous les autres événements, au processus universel et, par conséquent, y est, d’après l’hypothèse même, déterminé à l’existence par quelque antécédent immédiat.

Cela posé, je dis que l’objection des déterministes à outrance est non-avenue. En effet : un événement n’est idée du libre arbitre qu’autant que l’entière indépendance de l’action, c’est-à-dire le commencement absolu de l’action y est impliqué à l’état mental, à l’état d’idée. Or comment le processus universel, supposé par eux tout entier nécessité, peut-il fournir, même à l’état mental, le caractère d’un commencement absolu ? Ces déterministes sont donc mis en demeure d’exclure du processus de tous les événements ce que leur doctrine reconnaît comme événement existant.

Peut-être répondront-ils qu’il suffit, pour former l’idée du libre arbitre, de concevoir simplement le contraire de celle de la nécessité, que ce concept est déduit des données empiriques et appartient par là au monde accidentel comme tout autre concept. Je nie qu’il puisse être réalisé par ce procédé. Il s’en faut, en effet, que le contraire d’une chose puisse être déduit de cette chose. Le contraire d’une chose en est une autre de même genre que la première et positive comme elle, mais dont les caractères spécifiques impliquent l’intégrale négation des caractères spécifiques de la première. Par exemple : dans le genre passionnel la peine est le contraire de la joie, dans le genre moral l’injuste l’est du juste, dans le genre esthétique le laid du beau, dans le genre logique le vrai du faux, dans le genre sensitif le froid du chaud, dans le genre mécanique la faiblesse de la force, etc. Dans chacun de ces genres le caractère spécifique de