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leurs processus respectifs au point où ils procèdent l’un et l’autre de leur substratum commun, de l’être métaphysique appelé la substance par les philosophes.

L’esprit humain, qui déduit du concept de l’être métaphysique les propriétés de celui-ci énoncées précédemment, ne saurait former une idée adéquate d’aucune d’elles, car il est dépassé par chacune. Aussi n’essaie-t-il pas de les comprendre ; il se contente de les définir par négation, en supprimant de ce qu’il comprend ce qui le lui rend compréhensible, la mesure qui le met à sa portée. Quand il raisonne, comme je l’ai fait plus haut, sur l’une quelconque de ces prémisses négatives, il raisonne donc sur ce qu’il ne comprend pas ; il peut néanmoins raisonner juste (comme le fait, par exemple, un algébriste sur une formule compliquée de géométrie analytique sans avoir à se représenter les rapports spatiaux qu’elle symbolise), mais forcément les conclusions lui sont aussi incompréhensibles que les prémisses, c’est-à-dire que, ou bien elles n’offrent à son aperception rien de distinct, ou bien elles paraissent impliquer contradiction. Telle est l’alternative que crée à la pensée humaine toute spéculation logique sur une donnée métaphysique. Il y a donc impossibilité pour l’esprit humain de formuler les données métaphysiques sans contradiction implicite, dès qu’il leur prête un sens. Aussi ne faut-il pas s’étonner que le sens très clair d’une donnée empirique telle que l’intelligence humaine, par exemple, aille toujours en s’obscurcissant à mesure qu’elle occupe un degré plus profond dans l’abîme métaphysique.

Au voisinage du degré où s’opère la bifurcation des phénomènes psychiques et des phénomènes physico-chimiques dans leur commun subtratum, ces deux ordres d’événements tendent à se confondre en se rapprochant et en même temps deviennent, de part et d’autre, méconnaissables pour nous. Mais, en revanche, leur confusion n’est pas sans avantage : au moment où elle s’effectue, le spiritualisme et le matérialisme cessent d’être en conflit.

Dans le miroir de l’esprit humain la raison organisatrice de la vie est à la raison de l’homme ce que le combat des espèces est à sa morale. Renonçons à la téméraire tentative d’appliquer notre jugement à des matières qui échappent à sa compétence.

Sans parti pris de ma part, mes conclusions militent en faveur du monisme. Plus j’étudie, plus j’y verse. Mais je reconnais que l’intelligence humaine n’est pas apte à ce genre de spéculation.