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représenter leur mentalité. Nous nous imaginons approximativement celle d’un chien, assez bien encore celle d’un perroquet, moins nettement celle d’une couleuvre ou d’une mouche, assez mal celle d’une carpe, très obscurément celle d’un ténia ; nous ne savons rien de celle du zoophyte qui, placé à la limite du régne animal et du règne végétal, participe de l’un et de l’autre. À ce point de la bifurcation des deux règnes, nous sommes avertis du rôle que joue la mentalité dans l’évolution terrestre : il nous semble que la fonction cérébrale trouve sa raison d’être pour les animaux dans la nécessité où ils sont de suppléer par elle au défaut de communication immédiate de leur organisme avec le sol d’où dépend leur nourriture. La racine dispense la plante de penser pour subsister[1]. Mais l’énergie organisatrice de la vie végétale, et, à plus forte raison, de la vie animale jouit-elle de la même franchise ? Et si elle ne peut s’affranchir de penser dans la plante pour en conserver le type et en gouverner la croissance, et, en général, dans tout le processus de l’évolution organique, pour en déterminer la direction initiale et la maintenir dans la trajectoire si variable qu’il engendre, comment pense-t -elle ? Ce n’est assurément pas comme nous. Certains actes nous permettent de constater, sans que nous puissions nous la représenter, la transformation progressive de la mentalité dans l’évolution universelle. J’en citerai les frappants exemples qui suivent.

Ce qui est capable, si peu que ce soit, de conscience n’est à coup sûr pas matériel. La matière est essentiellement inconsciente ; c’est son caractère fondamental. Un état mental inconscient participe donc de ce caractère ; tel est le premier degré qui rapproche le psychique du physique. Or il y a plus d’un état mental inconscient : toutes les perceptions sensibles et toutes les idées générales ou abstraites passées à l’état mnémonique, à l’état de souvenirs latents, sont inconscientes. Le sont également toutes les passions latentes, que peuvent réveiller des souvenirs ou des rencontres ; toutes les volitions qui déterminent nos actes habituels le sont aussi. Elles le sont même dans certains actes qui ne sont point passés à l’état d’habitude. On oublie, en causant, la volonté qu’on apporte à gravir une côte ; l’attention est d’autant plus inconsciente qu’elle s’attache davantage à son objet : plus on écoute, moins on a conscience qu’on est attentif.

  1. La locomotion n’est pas refusée à tous les types du règne végétal (fleur de tan, algues unicellulaires), mais la fixité est bien le caractère général des végétaux.