Page:Revue de métaphysique et de morale - 14.djvu/554

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
488
revue de métaphysique et de morale.

s’écrie : « Quel changement dans ses traits ! » À proprement parler un changement, c’est la substitution d’un état à un autre immédiatement antérieur, substitution instantanée, opérée en un seul moment, dans cette durée infiniment petite qui constitue le présent.

Remarquons que nous ne pouvons nous former la représentation exacte, l’idée adéquate du moment. En tant qu’infiniment petit, c’est une donnée soustraite à l’expérience, et ace titre, métaphysique. Une pareille donnée défie l’imagination et l’intelligence humaines. Aussi, quand un langage humain tente de l’exprimer, ne pose-t-il qu’une formule contradictoire.

Pas plus qu’il ne peut se représenter le moment, notre esprit ne peut se représenter un couple de moments immédiatement consécutifs. Un tel couple, en effet, est un continu et suppose par suite quelque chose de commun entre les deux termes qui le composent ; or chacun de ces deux termes, en tant que simple, indivisible, se trouve engagé tout entier dans ce qu’il a de commun avec l’autre, en un mot s’identifie avec lui, cesse d’en être discernable, et pourtant notre esprit est mis en demeure d’affirmer que le second est distinct du premier, sinon aucune durée ne serait engendrée. Un couple de moments immédiatement consécutifs est une donnée métaphysique, au même titre que les moments qui la composent.

Des considérations précédentes il résulte que nous ne pouvons nous former la représentation exacte, l’idée adéquate de la composition d’aucun changement, c’est-à-dire l’idée adéquate du couple d’états différents affectés en deux moments immédiatement consécutifs par ce qui change ; car, en tant que deux états n’occupent que deux tels moments, ils sont comme ceux-ci mêmes indiscernables pour notre esprit, quoique distincts.

Le passage du premier de ces états au second constitue le devenir. Il est facile de vérifier sur l’infiniment petit la nature contradictoire du devenir mathématique. En effet : nous concevons immédiatement en quoi consiste l’augmentation et la diminution et nous appelons grandeur ou quantité ce qui en est susceptible ; mais si, en outre, nous imposons à une chose ainsi qualifiée la condition d’être infiniment petite, nous imposons par la même à sa nature deux conditions contradictoires : celle d’être présentement susceptible de diminution, et celle d’être présentement moindre que n’importe quelle autre grandeur assignée, c’est-à-dire de ne comporter aucune diminution.