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raient s’ils déniaient à l’esprit humain l’aptitude à en signaler l’existence et les propriétés, car l’aptitude à généraliser et à abstraire est applicable à cet objet tout comme aux divers objets qu’ils étudient. La spéculation sur l’impérissable ne requiert aucune aptitude intellectuelle spéciale chez les métaphysiciens qui le conçoivent ; seulement chez eux l’abstraction est poussée plus loin que chez les autres penseurs. Le point de départ de leurs recherches est comme pour les mathématiciens, une donnée empirique, laquelle suscite à la pensée réfléchie une proposition évidente par elle-même, ne se déduisant d’aucune autre, un ou plusieurs axiomes. Tout ce que les positivistes peuvent dire de la métaphysique, c’est que, pas plus que la science expérimentale, elle n’atteint la nature intime, le fond même de l’impérissable substance. Elle ne peut en affirmer que l’existence et les propriétés également impérissables sous le nom d’attributs, sans d’ailleurs pouvoir se former une idée adéquate de ces propriétés, car les définitions qu’elle en donne sont formulées négativement. Elle définit l’Éternel ce qui n’a ni commencement ni fin ; le nécessaire ce qui ne peut pas ne pas exister ; l’absolu ce qui n’est pas conditionné ; l’infini, ce qui n’est pas fini. Les savants positivistes, à tout prendre, obéissent à la même exigence mentale que les métaphysiciens, quand ils supposent aux données périssables de leurs observations et de leurs expériences, données qu’ils appellent phénomènes, ce qu’ils appellent et que j’ai précédemment nommé un substratum. Les métaphysiciens ne font qu’approfondir le sens de ce mot, en concevant un dessous permanent (sub-stance) aux choses périssables, désignées dans leur vocabulaire par les mots accidents, contingents, etc. Le domaine de la métaphysique, exactement délimité, n’est qu’une division du champ continu de la connaissance humaine. Elle l’exploite avec le même outillage intellectuel que la science applique à tout le reste, à cela près qu’elle aiguise la pioche pour l’enfoncer jusqu’au tuf, qu’elle n’entame d’ailleurs jamais. Il s’en faut de beaucoup qu’elle soit résignée à ne point tenter cet impossible sondage, c’est ce qui l’a discréditée et la confond, car elle aboutit à des jugements contradictoires.