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SULLY PRUDHOMME. psychologie du libre arbitre.

avec les dessins purement ornementaux d’un papier de tenture, ou encore lorsque mon activité mentale ne se contente pas d’utiliser des sensations offertes toutes groupées en moi par l’impression, mais, les recevant séparément, les rapproche pour les synthétiser à mon gré c’est ainsi que j’assemble des mots pour en former une phrase. De même fait le peintre qui choisit les couleurs pour les combiner et en former une image sur la toile. Il est enfin des variations de moi que je sens procéder de moi-même exclusivement. Telles sont mes volitions. Celles-ci, j’ai conscience de n’en être pas simplement traversé : je le sens dépendre de moi et uniquement de moi. Avoir conscience que je veux, c’est avoir conscience d’une variation psychique en moi telle que je n’y sens absolument rien d’étranger à moi, que je n’y sens que moi.

Cette conscience spontanée d’être exempt de toute contrainte extérieure à moi dans l’exercice de mon vouloir se traduit en moi par celle de pouvoir, au même instant, vouloir faire ou ne pas faire une action dont j’ai l’idée préconçue, me l’interdire ou en commencer l’exécution, sauf empêchement hors de moi à la continuer. Cette définition équivaut à celle que donne Stuart Mill dans sa Philosophie de Hamilton (p. 551)[1] : « Avoir conscience du libre arbitre signifie avoir conscience, avant d’avoir choisi, d’avoir pu choisir autrement…

Le libre arbitre tel qu’il apparaît à la conscience spontanée peut donc se définir : l’entière indépendance de l’acte volontaire.

CHAPITRE II

Objection au Libre Arbitre tirée de la contradiction dans son concept.

Je rencontre tout de suite des contradictions entre le témoignage de ma conscience spontanée et celui de la critique rationnelle. D’après le premier dans la volition l’acte n’est pas nécessité, aucun antécédent ne le prescrit infailliblement ; d’après le second, reconnaître qu’il ne dépend que de moi, cela n’en est pas moins recon-

  1. Définition citée par M. Henry Bergson dans son Essai sur les données immédiates de la conscience, p. 133. — La traduction serait plus correcte comme il suit : « Avoir conscience du libre arbitre signifie avoir conscience d’avoir pu, avant d’avoir choisi, choisir autrement ».