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H. POINCARÉ.LES MATHÉMATIQUES ET LA LOGIQUE.

Les logisticiens l’ont oublié comme les Cantoriens et ils ont rencontré les mêmes difficultés. Mais il s’agit de savoir s’ils se sont engagés dans cette voie par accident, ou si c’était pour eux une nécessité.

Pour moi, la question n’est pas douteuse ; la croyance à l’infini actuel est essentielle dans la logistique russelienne. C’est justement ce qui la distingue de la logistique hilbertienne. Hilbert se place au point de vue de l’extension, précisément afin d’éviter les antinomies cantoriennes ; Russell se place au point de vue de la compréhension. Par conséquent le genre est pour lui antérieur à l’espèce, et le summum genus est antérieur à tout. Cela n’aurait pas d’inconvenient si le summum genus était fini : mais s’il est infini, il faut poser l’infini avant le fini, c’est-à-dire regarder l’infini comme actuel.

Et nous n’avons pas seulement des classes infinies ; quand nous passons du genre à l’espèce en restreignant le concept par des conditions nouvelles, ces conditions sont encore en nombre infini. Car elles expriment généralement que l’objet envisagé présente telle ou telle relation avec tous les objets d’une classe infinie.

Mais cela, c’est de l’histoire ancienne. M. Russell a aperçu le péril et il va aviser. Il va tout changer ; et qu’on s’entende bien : il ne s’apprête pas seulement à introduire de nouveaux principes qui permettront des opérations autrefois interdites ; il s’apprête à interdire des opérations qu’il jugeait autrefois légitimes. Il ne se contente pas d’adorer ce qu’il a brûlé ; il va brûler ce qu’il a adoré, ce qui est plus grave. Il n’ajoute pas une nouvelle aile au bâtiment, il en sape les fondations.

L’ancienne Logistique est morte, si bien que la zigzag-theory et la no classes theory se disputent déjà sa succession. Pour juger la nouvelle, nous attendrons qu’elle existe.

H. Poincaré