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L. COUTURAT.Pour la Logistique.

dernière : par conséquent il ne porte pas contre la définition de M. Russell… tant qu’elle sera la dernière proposée.

M. Poincaré s’étonne que les logisticiens définissent l’addition arithmétique au moyen de l’addition logique, qui lui parait reposer sur un acte d’intuition analogue, mais « plus complexe » (p. 832). Mais d’abord, s’il faut vraiment un acte d’intuition pour l’une ou l’autre de ces opérations, n’est-il pas avantageux et méritoire de définir l’une par l’autre, de manière à réduire au minimum les actes d’intuition ? L’addition logique n’est pas une invention des logisticiens ; elle a existé de tout temps dans tous les esprits ; c’est la combinaison qu’exprime la conjonction et dans les expressions suivantes : « Les Français et les Anglais », « les philosophes et les mathématiciens ». La Logique, même classique, ne peut pas s’en passer. Ce n’est donc pas arbitrairement, comme semble le croire M. Poincaré, qu’on introduit cette notion « dans le chapitre intitulé Logique » (p. 831). Étant donné qu’elle est indispensable à la Logique, toute la question est de savoir si l’on peut l’employer à définir l’addition arithmétique. Cette idée est trop naturelle pour que MM. Peano et Russell en aient eu l’initiative ; elle se trouve déjà nettement exprimée chez Lambert. Pour la réfuter, M. Poincaré aurait dû montrer comment et pourquoi l’addition arithmétique ne peut pas se définir au moyen de l’addition logique, et par suite critiquer la définition formelle qu’en donne M. Whitehead dans le mémoire que j’ai cité à plusieurs reprises. Ou, s’il croit que la notion d’addition logique est « plus complexe » que celle d’addition arithmétique, qu’il essaie, au rebours des logisticiens, de définir la première au moyen de la seconde. C’est le meilleur moyen qu’il ait de prouver que la Mathématique est indépendante de la Logique. En attendant, qu’il permette aux logisticiens d’observer le précepte classique : Les principes ne doivent pas être multipliés sans nécessité.

M. Poincaré accuse solennellement les logisticiens d’avoir violé deux règles de méthode. La première consiste en ceci : toute définition mathématique suppose l’existence de l’objet défini et n’est valable qu’à cette condition (p. 819 ; cf. p. 833, p. 31). Eh bien ! cette condition n’est nullement une règle nécessaire, et les logisticiens n’avaient pas à la remplir. Il est inutile d’invoquer à ce sujet, en la corrigeant, l’opinion de Stuart Mill, dont l’autorité est plutôt médiocre en logique des mathématiques. La condition que M. Poincaré prétend imposer aux logiciens est une exigence absolument gratuite, qui est