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L. COUTURAT.Pour la Logistique.

moi, et le « perfectionnement » en question est dû à M. Russell) en écrivant :

⁏ Λ : Λ . ͻ . Λ ϶


« ce qui veut dire en français », suivant M. Poincaré : « zéro est le nombre des objets qui satisfont à une condition qui n’est jamais remplie. Mais comme jamais signifie en aucun cas, je ne vois pas que le progrès soit considérable » (p. 824). Je me bornerai a rappeler ici la traduction verbale que j’ai donnée de cette formule : « Si est toujours fausse, Λ est la classe des qui vérifient  ». Cela veut dire, « en français » : est la classe des objets qui satisfont à une condition qui est toujours fausse, c’est-à-dire fausse pour toutes les valeurs attribuées à . Où voit-on dans cette formule l’idée du nombre zéro, ou même d’un nombre quelconque ? Et nous reprochera-t-on d’introduire en Logique des notions mathématiques, alors que la Logique classique connaissait les jugements universels et employait le mot tout ? Pour pouvoir nous imputer une pétition de principe (même simplement verbale), M. Poincaré a dû transformer notre traduction en y remplaçant « toujours fausse » par « jamais vraie ». Si donc quelqu’un abuse ici de la langue française, ce n’est pas nous.

Mais ce reproche est encore plus immérité s’il s’adresse aux logisticiens, qui n’écrivent ni en français, ni en italien, ni en anglais, mais dans un symbolisme constitué tout exprès pour affranchir les notions des implications latentes que le langage y introduit par l’usage. M. Poincaré dit lui-même : « Il est impossible de donner une définition sans énoncer une phrase, et difficile d’énoncer une phrase sans y mettre un nom de nombre, ou au moins le mot plusieurs, ou au moins un mot au pluriel[1]. Et alors la pente est glissante, et à chaque instant on risque de tomber dans la pétition de principe » (p. 821). Ces réflexions fort justes portent uniquement sur les défauts logiques du langage, et sur les fautes qu’il peut faire commettre. C’est précisément pour éviter ces fautes et remédier à ces défauts que les logisticiens ont inventé leurs signes rigoureusement définis, qui n’ont de sens que celui qu’ils tiennent de leur défi-

  1. À propos du pluriel, il convient de remarquer que M. Peano l’a exclu de son Latino sine flexione, suivant la sentence de Leibniz : « Videtur pluralis inutilis in Lingua rationali ». Le pluriel peut être remplacé, soit par des adjectifs numéraux, soit par omnis (tout) ; partout ailleurs, il peut être supprimé sans inconvénient. C’est dire que nos langues en font un grand abus (comme de toutes les autres flexions).