Page:Revue de métaphysique et de morale - 14.djvu/252

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
220
revue de métaphysique et de morale.

M. Poincaré adresse un singulier reproche à la Logistique : « le rôle de l’intelligence se borne à choisir dans un arsenal limité de règles posées d’avance, sans avoir le droit d’en inventer de nouvelles » (p. 825). Si l’on remarque que ces « règles » ne sont pas autre chose que les principes logiques, cette phrase parait signifier que l’intelligence « a le droit » d’inventer de nouveaux principes logiques. C’est une étrange conception de la Logique, qui la considère comme toujours évoluant et comme jamais achevée[1]. Elle procède évidemment de la confusion (psychologistique) entre la science et ce que nous en connaissons à un moment donné. On n’« inventera jamais de « nouvelles » règles logiques ; on en « découvrira » seulement, qui n’avaient pas été remarquées, mais qui étaient tout aussi « anciennes » que les autres, et également « posées d’avance », c’est-à-dire a priori. Et les logisticiens ne font pas autre chose. Mais alors, pourquoi M. Poincaré leur reproche-t-il d’innover ? À propos des neuf notions indéfinissables et des vingt propositions indémontrables de M. Russell, il dit : «je crois bien que… j’en aurais trouvé quelques-unes de plus » (p. 829). Libre à lui : les logisticiens ne demandent pas mieux, et enregistreront avec reconnaissance ses découvertes, ou, s’il préfère, ses inventions. Mais que signifient ces reproches contradictoires, sinon que M. Poincaré revendique pour lui « le droit » d’« inventer » des principes logiques, au moment même où il refuse ce droit aux logisticiens ?

Au surplus, à quoi bon discuter in abstracto les qualités de la Logistique ? De l’aveu même de M. Poincaré, « la pasigraphie peut nous fournir un critérium pour décider la question qui nous occupe. Si tout traité de mathématiques peut être traduit dans le langage péanien, ce sont les logisticiens qui ont raison » (p. 825). Or les logisticiens ont répondu par avance, et depuis longtemps, à cette ironique invitation. Il y a dix ans que M. Peano a publié la première édition de son Formulaire de Mathématiques, qui est précisément un traité ou manuel entièrement écrit en Logistique ; la quatrième édition (1903-1904) comprend la Logique, l’Arithmétique, la Théorie des nombres, l’Algèbre, la théorie des nombres réels, celle des fonctions définies, le Calcul infinitésimal, la théorie des nombres complexes,

  1. Pour employer la comparaison favorite de M. Poincaré, que dirait-on d’un joueur d’échecs qui voudrait inventer une règle nouvelle au cours d’une partie, par exemple, faire faire plusieurs pas à son roi en échec ? Une telle « invention » s’appellerail tricherie, tout simplement.