Page:Revue de métaphysique et de morale - 14.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
214
revue de métaphysique et de morale.

pourrait commettre n’infirment pas plus la valeur de la Logistique, que les erreurs de calcul n’ébranlent la certitude de l’Arithmétique. Il suffit que la Logistique permette de raisonner plus facilement et plus sûrement, et de découvrir plus aisément les fautes de raisonnement : et c’est ce qu’elle fait. En ce sens, elle est, comme disait Leibniz, un art d’infaillibilité : non que les logisticiens soient infaillibles, mais ils sont moins exposés à l’erreur que ceux qui se fient au simple bon sens, c’est-à-dire à l’intuition.

D’ailleurs, M. Poincaré se fait de la Logistique une idée tout à fait fausse en la considérant comme un mécanisme d’où l’intelligence est à peu près exclue ; et il abuse contre elle d’une comparaison inexacte, en l’assimilant au piano logique de Stanley Jevons (p. 816). Il faut d’abord savoir que ce piano logique concerne uniquement la Logique des classes, et qu’il n’effectue que la partie la moins importante, et en effet la plus mécanique, des raisonnements : son office consiste à supprimer les classes élémentaires qui se trouvent annulées en vertu des prémisses données. Mais il laisse à faire presque tout le reste, à savoir, d’une part, la « mise en équations » du problème logique, d’autre part, la combinaison des classes subsistantes de manière à obtenir les conséquences sous la forme qu’on désire. Ainsi l’Algèbre de la Logique elle-même ne se réduit pas à un mécanisme aveugle. Cela est encore bien plus vrai de la Logistique, qui dépasse l’Algèbre de la Logique et qui est bien moins « mécanique » qu’elle.

Une autre comparaison n’est pas plus heureuse : « Les règles de la parfaite logique sont-elles toute la mathématique ? Autant dire que tout l’art du joueur d’échecs se réduit aux règles de la marche des pièces » (p. 817). Mais personne n’a jamais prétendu que toute la mathématique se réduit matériellement à la logique, c’est-à-dire qu’il n’y a rien de plus dans un traité de mathématique que dans un traité de logique. Nous soutenons seulement que tous les raisonnements mathématiques s’effectuent en vertu des seules règles de la logique, de même que toutes les parties d’échecs qu’on a pu et qu’on pourra jamais jouer s’effectuent suivant les règles du jeu… sans quoi elles ne vaudraient rien. La comparaison se retourne donc contre les adversaires de la Logistique, car elle montre comment un petit nombre d’éléments, combinés suivant quelques lois fixes, peuvent engendrer une variété illimitée de conséquences. On a prétendu que la Logistique mettait des lisières à l’invention, et l’on a