Page:Revue de métaphysique et de morale - 14.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
209
L. COUTURAT.Pour la Logistique.

et sans parler de la démonstration analytique rigoureuse. Que penserait-on d’un mathématicien qui, ne connaissant cette courbe que par mon exposé, se permettrait d’en critiquer la construction, de douter de la justesse de la démonstration, ou même de déclarer que cette démonstration n’existe pas et que la proposition en question repose sur l’intuition ?

J’avais également prévenu les lecteurs que, dans mon exposé, je sacrifierais la rigueur à la clarté, non pas à cette clarté logique, inséparable de la rigueur, et qu’on ne peut obtenir que par le symbolisme logistique, mais à cette clarté vulgaire qu’on nomme l’intuition, et que M. Poincaré prise si fort. Il faut avouer que je suis assez mal récompensé des concessions que j’ai faites à l’intuition, puisque M. Poincaré en profite pour me reprocher un manque de rigueur. En tout cas, j’ai voulu faire œuvre de commentateur et de vulgarisateur, et composer, à l’usage des profanes, une sorte d’introduction aux œuvres que je résumais. C’est dire que ce n’est pas pour M. Poincaré que j’écrivais, et que je ne prétendais pas lui apprendre quoi que ce soit. Dans tous les cas, un travail de ce genre peut bien servir je l’espère du moins) pour apprendre les éléments des doctrines en question, mais il ne peut servir de base suffisante pour critiquer celles-ci. Pour être juste et efficace, la critique doit s’adresser aux ouvrages originaux dont je me suis inspiré. Que dirait M. Poincaré, si quelqu’un s’avisait de discuter les Principes de le Géométrie de M. Hilbert d’après l’analyse, si exacte et si complète qu’elle soit, qu’il en a donnée au public français ?

Je pourrais m’en tenir à ces remarques préjudicielles, et peut-être le devrais-je ; car, si j’ai déjà compromis les doctrines en question par mon essai de vulgarisation, je risque de les compromettre encore davantage en entreprenant de les défendre contre un adversaire tel que M. Poincaré. Si je m’enhardis à le faire, c’est, d’une part, parce qu’il a plu à M. Poincaré de me substituer aux maîtres de la Logistique, et, d’autre part, parce que ceux-ci ont cru que je suffirais à la tâche et m’ont laissé le soin de les justifier. Je les remercie de leur confiance ; mais il faut que le lecteur sache bien que, s’il y a quelque chose de bon et de solide dans mon travail, c’est à eux que je le dois ; et que tout ce qu’il y aura de faible et de défectueux vient de moi. Si donc je réussis à justifier la Logistique contre les critiques de M. Poincaré, cela sera tant mieux ; si non, cela sera de ma faute, et ne prouvera rien contre elle.