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E. CHARTIER. — Vers le positivisme absolu par l’idéalisme.

revues historiques rapides et souvent superficielles, qui occupent la plupart des heures dans l’enseignement secondaire, comme aussi la plupart des chapitres dans les livres qui paraissent. On court d’un Système à l’autre ; on frappe à toutes les portes ; on s’assure que Descartes à commis une pétition de principe, et que Spinoza se contredit ; on retranche du Kantisme le noumène ; on complète le criticisme par l’empirisme, et, en un mot, on définit son propre système par rapport à tous les autres. Ainsi se font les leçons de la plupart de nos maîtres, et récemment l’un d’eux inscrivait cette note, bien significative, sur le travail, d’ailleurs médiocre, d’un élève : « pas un nom propre ! » Le sujet était, je crois, « l’expérience morale », et il est pourtant évident qu’on pouvait traiter ce sujet, et très bien, sans citer un seul philosophe. Cette préoccupation se retrouve dans la plupart des études philosophiques, et nos livres seront bientôt comme les monades, chacun d’eux sera un point de vue sur tous les autres.

Le titre même de l’ouvrage de M. Weber, par les deux étiquettes qu’il rapproche, correspond tout à fait aux préoccupations de nos philosophes et attirera le lecteur, comme la première partie du livre le retiendra. On pourrait la résumer en ce sous-titre : « l’illusion réaliste dans la philosophie moderne ». Successivement le dynamisme matérialiste, l’agnosticisme, l’idéalisme critique de Kant, puis Schopenhauer, Fichte, Hegel, sont accusés et convaincus d’avoir laissé subsister dans leurs systèmes, sous une forme ou sous une autre, une « chose en soi ». Cette revue historique des erreurs où sont tombés les plus grands philosophes est réellement l’histoire de la philosophie à l’envers, puisqu’on cherche alors dans chaque système en quoi il est inintelligible. Notre auteur s’en est aperçu, et l’a dit ; écoutons-le se juger lui-même : « On peut mettre en doute la rigueur du raisonnement, qui, nécessairement, en passant d’un système à un autre, ne s’est attaché, dans les doctrines examinées, qu’aux rapports quelles soutiennent avec la thèse à réfuter, et à ainsi laissé dans l’ombre l’originalité propre, l’âme de vérité de chacune d’elles.[1] »

Ce souci d’examiner l’une après l’autre les formes diverses de l’illusion réaliste, et de réfuter à ce point de vue toutes les doctrines, ne va pas sans inconvénients. M. Weber argumente avec

  1. P. 160.