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G. LANSON.L’HISTOIRE LITTÉRAIRE ET LA SOCIOLOGIE.

rieure pour une fin nouvelle. La forme est donnée avant que la fin soit conçue. L’usage d’une forme que des circonstances variées ont fait éclore ou importer, précède la conception des propriétés et de la puissance de cette forme. L’esprit, agissant sur les données qui lui sont présentées, les éprouve, les analyse, les organise, et peu à peu détermine toutes leurs aptitudes esthétiques. Ainsi les trois unités, les narrations, les monologues, la condition royale ou héroïque des personnages, ainsi la tragédie sera donnée en France avant que Corneille et Racine aient reconnu à quels effets d’art tout cela devait servir. Corneille a subi, non choisi les unités ; Racine n’a pas eu à se demander s’il les accepterait. Ils ne se sont pas demandé s’ils feraient des narrations, ou prendraient le parti de faire comme Calderon et Shakespeare. Mais il leur fallait observer les unités, employer la narration. Ils ont résolu seulement quel était le meilleur parti à en tirer. On a fait des tragédies en France pendant trois quarts de siècle avant que la tragédie française fût constituée.

Le théâtre Italien de la Renaissance connaît trois genres dramatiques, tragédie, pastorale, comédie, et non deux comme Arislote, Horace et Donat. Le Tasse a créé la pastorale. Mais Vitruve avait donné le décor pastoral aux architectes de la scène qui travaillaient aux divertissements des cours italiennes. Pendant un siècle, de l’Orfeo de Politien à l’Aminta du Tasse, on a tâtonné, on a mis dans ce décor rustique toutes sortes de pièces, jusqu’à ce que le Tasse créât un poème approprié au décor et dont la qualité littéraire en utilisait tout le charme pittoresque. Ce décor, Vitruve l’appelait décor satyrique : et voilà le satyre donné comme acteur nécessaire dans la décoration champêtre. On lui découvrira donc ensuite une fonction esthétique : il sera chargé de représenter la nature brutale et lascive, en face de l’amour courtois et civil des bergers et des bergères.

5o Loi d’apparition du chef-d’œuvre. — Il est établi, je crois, aujourd’hui que le chef-d’œuvre n’est jamais, en aucun genre, la production primitive ; il est moins un commencement qu’un terme. Il conclut une série d’essais, d’avortements et d’approximations. Ce qui signifie deux choses. D’abord la nécessité d’une accumulation de travaux individuels. Le chef-d’œuvre est le résumé de cette série d’efforts ; c’est un produit collectif en ce sens. Une part du Cid revient à Hardy, à Jodelle. Ensuite la nécessité d’une collaboration du public au chef-d’œuvre. Il faut qu’il l’attende, qu’il l’appelle, que les essais