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G. LANSON.L’HISTOIRE LITTÉRAIRE ET LA SOCIOLOGIE.

fait actuel et réel, l’ascendant d’une nation sur une autre. Exemple : l’imitation française en Allemagne au xviie et au xviiie siècle.

Lorsque, pour des raisons diverses, la littérature d’un pays ne donne pas satisfaction aux besoins des esprits, du plus grand nombre, ou seulement du plus petit, lorsqu’elle végète maigrement, ou lorsqu’elle est épuisée, appauvrie, cristallisée, momifiée, incapable de cette continuelle réadaptation qui est la vie d’une littérature, alors l’appel à l’étranger se produit. Le prestige politique ou militaire n’est plus qu’un facteur très secondaire, et c’est souvent le vainqueur qui emprunte (Graecia capta ferum victorem cepit. — La découverte de l’Italie par les Français de Charles VIII). Les œuvres étrangères remplissent une triple fonction : justifier la demande de nouveauté : — préciser le nouvel idéal en fournissant des modèles de la nouveauté demandée ; — procurer la satisfaction intellectuelle et esthétique que la littérature nationale ne donne pas. C’est ce dernier point qui importe. Tout le monde a signalé l’importance de l’imitation anglaise, puis le commencement de l’infiltration allemande dans notre littérature du xviiie siècle, puis, après la stagnation classique de l’Empire, le torrent d’exotisme qui nous inonde. On a voulu parfois faire de ces influences étrangères la cause du romantisme. En réalité, l’examen des faits prouve que dès 1715, dés la querelle des Anciens et des Modernes, dès les premiers indices de la sensibilité, la doctrine classique ne fournit plus une littérature adaptée aux besoins intellectuels de la société française. Pour diverses raisons, les essais français d’innovation avortent, et avorteront jusqu’en 1820 : en attendant, les esprits et les âmes se satisfont, se soulagent par les œuvres étrangères. D’où la demande qui en est faite. Mais le public n’a pas souci de se faire une mentalité anglaise ou allemande, il ne prend à l’étranger que ce qui correspond à sa nature, il mutile, déforme les œuvres qu’il adopte, et les contresens seraient ridicules, s’ils n’étaient révélateurs du travail interne des esprits français. Autre exemple : l’Angleterre sert aux Allemands à rejeter l’influence française. Leur conscience et leur goût qui ne peuvent encore créer des chefs-d’œuvre nationaux, se reconnaissent des affinités avec le génie anglais : d’où l’emploi qu’ils en font contre la littérature française dont le prestige n’a donné lieu chez eux qu’à une production artificielle. Certaines parties de l’art français pourtant résistent : ce sont celles qui répondent à un appel sincère du goût allemand, celles qui chez nous contredisent l’idéal classique, et pour cela ont plus de mal